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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/57

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XLV
INTRODUCTION


CHARLES V.

La sagesse de Charles V restaura un peu la malheureuse France. C’était un roi instruit. « Complètement il entend son latin et suffisamment savoit les règles de grammaire. » Il appela auprès de lui des clercs et des philosophes. Édouard III n’en fut pas moins forcé d’avouer qu’aucun roi ne lui avait donné autant à faire. Charles V mit à la tête de ses armées un petit gentilhomme breton, Bertrand Du Guesclin, l’un des plus habiles capitaines de son temps. Vainqueur à Cocherel, Du Guesclin fut cependant fait deux fois prisonnier à Auray, en Bretagne, et en Espagne, à Nojara. C’est que ces deux batailles furent livrées malgré lui, par la volonté des princes dont il défendait la cause en ces deux pays, Charles de Blois et Henri de Transtamare. La Bretagne fut, à la vérité, perdue pour le prétendant français ; mais Henri de Transtamare finit par triompher en Espagne, et la France s’y débarrassa des Grandes Compagnies qui la désolaient. En France point de grandes batailles, Charles V n’en voulait pas ; il fermait ses villes, et l’Anglais n’avait plus autre chose à faire que de traverser le pays, de brûler les champs et les villages. Charles V regardait impassiblement ce douloureux spectacle ; il se consolait en pensant que « ces fumières ne lui enlèveroient pas son héritage. » Bientôt les armées anglaises fondaient par l’épidémie, la disette, les fatigues ; Du Guesclin ou quelque autre capitaine les harcelait, et s’introduisait par force ou par ruse dans les places que l’ennemi possédait encore ; aux villes qui ouvraient leurs portes ou même aux villes reconquises, Charles offrait des privilèges, des exemptions d’impôt et opposait la douceur à la férocité du prince Noir. Ce système, pratiqué avec une invariable persévérance, affranchit notre territoire. Les Anglais n’y possédaient plus, à la mort de Charles V, que Calais, Brest, Bordeaux et Bayonne.



CHARLES VI.


Le règne de Charles VI (1380-1422) défit ce qu’avait fait celui de Charles V. Dès le début et pendant sa minorité, ses oncles mirent au pillage le trésor, où une sage économie avait enfin ramené l’ordre et même la richesse. Et les impôts de pleuvoir sur le peuple. Le peuple avait appris à se soulever contre la tyrannie ; il se révolta, non seulement à Paris, mais à Rouen, Reims, Orléans et dans le Languedoc et s’entendit avec les Flamands. Cette insurrection formidable menaçait d’anéantissement toute la noblesse. Elle s’arma, et le petit roi, enchanté de mettre une cuirasse et de porter une lance, s’empressa de se mettre à la tête de l’armée féodale. Les Flamands furent vaincus à Rosbecque, la révolte étouffée partout. Les oncles du roi recommencèrent leur coupable gaspillage du trésor public. Une expédition préparée à grands frais contre l’Angleterre échoue par leur maladresse. D’autres entreprises aussi coûteuses furent menées avec le même succès. Charles VI était tombé en démence ; tout frein de l’autorité était brisé ; les princes exploitaient le gouvernement, la cour se livrait à tous les excès ; la noblesse s’en allait chercher jusqu’au bord du Danube, à Nicopolis (1396), un autre Crécy ou un autre Poitiers.

Le duc d’Orléans, prince brillant, mais plein d’insouciance pour le peuple, dirigeait le gouvernement avec la reine Isabeau de Bavière, dont il était aimé. Le duc de Bourgogne, qui flattait le peuple par contre, fut jaloux de son ascendant. Un soir de novembre, le ciel étant tout à fait obscur et les boutiques fermées, le duc d’Orléans sortit, avec une suite de quatre pages seulement, de l’hôtel d’Isabeau, rue Vieille-du-Temple. Il allait nonchalamment à cheval, chantant à demi-voix et jouant avec son gant. Tout à coup il est assailli par plusieurs assassins et égorgé. Jean sans Pour nia d’abord le meurtre ; mais peu après, ayant quitté Paris, il l’avoua, s’en glorifia et en fit établir la justification par le moine franciscain Jean Petit. L’audacieux meurtrier rentra ensuite à Paris, promettant au peuple l’abolition des impôts. Toute une populace violente, recrutée surtout parmi les bouchers, forma le parti des Bourguignons, tandis que les nobles en formaient un autre sous le nom d’Armagnacs. Pendant huit années, Paris, livré tour à tour à ces deux factions haineuses, fut inondé de sang, en proie à la discorde, à la famine et à la peste. Dans le même temps (1415), la noblesse allait recevoir à Azincourt sa quatrième leçon. Jamais on ne vit plus d’insubordination, de désordre et d’incapacité. On laissa les chevaux piétiner toute une nuit un terrain défoncé par la pluie ; le lendemain, ils n’en pouvaient plus retirer leurs pieds. « D’autre part, dit un témoin oculaire, les François estoient si chargés de harnois qu’ils ne pouvoient aller en avant. Premièrement estoient chargés de