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XLVI
LA FRANCE ILLUSTRÉE

cottes d’acier, longues, passant les genoux et moult pesantes, et par dessous harnois de jambes, et par dessus blancs harnois, et de plus bacinets. Ils estoient si pressés l’un de l’autre qu’ils ne pouvoient lever leurs bras pour férir les ennemis, sinon aucuns qui estoient au front. » Les archers anglais criblèrent à plaisir cette masse confuse, et ne perdirent que seize cents hommes, tandis qu’ils tuèrent dix mille Français, dont sept princes et cent chevaliers bannerets.

Les Armagnacs, alors maîtres du gouvernement, furent égorgés dans Paris, où rentra Jean sans Peur. Le gouvernement bourguignon ne fit guère mieux ; il laissa prendre Rouen. Le dauphin crut améliorer l’état des choses en assassinant Jean sans Peur au pont de Montereau. Le résultat de ce crime fut le traité de Troyes (1420), le plus honteux que jamais roi de France ait signé. Charles VI y reniait son fils Charles (VII) et transportait la couronne de France à celui qu’il appelait son fils, à Henri V, roi d’Angleterre. Il mourut peu de temps après, et la France eut deux rois anglais, Henri V et Henri VI. Charles VII se fit proclamer roi de son côté, à Meung-sur-Yèvre, au delà de la Loire.

Sa petite cour était pleine d’intrigues et de rivalités mesquines. Les affaires mal dirigées et de nouveaux revers amenaient les Anglais jusqu’à la Loire ; ils assiégèrent Orléans et furent sur le point de s’en rendre maîtres. Cette place conquise, la barrière de la Loire était franchie ; Charles VII devait fuir derrière la Garonne. Tout semblait donc désespéré.



JEANNE DARC.

Une jeune paysanne arriva de la Lorraine, racontant que des voix célestes lui avaient ordonné de se mettre à la tête des guerriers français, de délivrer Orléans et de conduire le roi à Reims pour l’y faire sacrer. Son inspiration, sa pureté, son éloquence décident le roi ; elle entre avec audace dans Orléans à la tête de quelques braves capitaines, relève le courage des habitants, fait merveille elle-même à la défense de la ville, et en huit jours force les Anglais à la retraite (mai 1429). Elle les poursuit et leur fait essuyer à Patay une défaite qui coûta la liberté au fameux Talbot. Puis elle conduit le roi à Reims et le fait sacrer. Là, elle voulait se retirer : « J’ay accomply, disait-elle, ce que Messire (Dieu) m’a ordonné, qui estoit de lever le siège d’Orléans et de faire sacrer le gentil roy ; je voudrois bien qu’il voulust me faire ramener auprès mes père et mère et garder leurs brebis et bétail, et faire ce que je soulois faire. » On ne lui accorda pas cette légitime faveur. La noblesse, jalouse de son ascendant, se réjouit de la voir échouer au siège de Paris, où elle fut cruellement blessée, et enfin une trahison la livra aux Anglais, qui la brûlèrent à Rouen (1431).

Le supplice de cette noble martyre du patriotisme est dans toutes les mémoires. C’était encore une fois le peuple qui recouvrait au prix de son sang l’indépendance nationale, perdue par la faute des grands. Ils abandonnèrent l’héroïne après qu’elle les eut mis dans le chemin de la victoire ; mais l’impulsion était donnée. Le moral de la France était relevé et celui de l’Angleterre abattu. Ce changement changeait aussi toute la face de la guerre. De braves capitaines, les Dunois, les Lahire, les Xaintrailles, n’eurent plus qu’à batailler pendant une vingtaine d’années, et, en 1450 et 1453, les victoires de Formigny et de Castillon avaient consommé l’expulsion des Anglais ; Calais seul leur restait.



RUINE DE LA FÉODALITÉ. LOUIS XI.

Après un siècle d’interruption, la royauté reprit son œuvre d’utile destruction. Le sol de la France, délivré de l’étranger, était encore encombré de l’échafaudage féodal. Les puissantes maisons de Bourgogne, de Bretagne, d’Orléans, d’Anjou, de Bourbon, n’aspiraient qu’à démembrer le pays en cinq ou six royaumes. « J’aime tant le royaume de France, disait Charles le Téméraire, qu’au lieu d’un roi je voudrais en voir six. » Charles VII commença, à la fin de son règne, à restaurer la monarchie. Il envoya les bandes des écorcheurs, restes impurs de la guerre de Cent ans, se faire tuer par les Suisses (bataille de Saint-Jacques, 1444). Aux armées irrégulières, mercenaires ou féodales, il substitua une armée permanente, nationale, sous le nom de compagnies d’ordonnance et de francs archers ; il consacra l’indépendance de l’Église gallicane par sa pragmatique sanction ; il établit les parlements de Toulouse et de Grenoble ; il réforma les finances, n’hésitant pas pour exécuter ces réformes à appeler dans ses conseils des roturiers comme Jacques Cœur, Jean Bureau, etc. Agnès Sorel, qui, dit-on, releva le courage du roi, était roturière aussi. Les nobles se soulevèrent et furent rigoureusement punis, soit de leur ré-