Aller au contenu

Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L
LA FRANCE ILLUSTRÉE

vaillant capitaine français, son prisonnier. — Si Votre Majesté, répondit-il, entend par journées batailles, il y en aura bien une douzaine, à moins que l’agresseur n’ait la tête rompue dès la première. » L’empereur ne trouva, au lieu d’une province fertile, qu’un désert ; au fond de ce désert, Montmorency, dans une forte position, qui attendait et observait. Le maître de tant d’empires rétrograda honteusement, laissant sur les routes une partie de ses soldats morts de faim ou sous les arquebusades des paysans provençaux. On conclut la trêve de Nice, et bientôt Charles-Quint traversa amicalement la France. « Vous voyez cette belle dame, lui dit un jour à table François Ier en lui montrant le duchesse d’Étampes, elle me conseille de vous retenir prisonnier. — Si le conseil est bon, il faut le suivre, » répondit froidement l’empereur. Le repas fini, l’empereur s’essuyant les mains laissa tomber une bague d’un grand prix ; la duchesse la ramassa pour la lui rendre. « Elle est en trop belles mains, duchesse, lui dit-il, pour que je la reprenne. » Dès lors il ne fut plus question de le retenir. Mais de nouveaux griefs rallumèrent la guerre. La France y triompha encore. L’invasion de la Champagne ne réussit pas mieux à Charles-Quint que celle de la Provence, et tandis que ses troupes étaient battues à Cérisoles, en Piémont, lui-même signait le traité de Crespy (1544). François Ier mourut au sein de la paix (1547) : les qualités et les défauts furent chez lui en doses à peu près égales. Il défendit assez habilement son royaume. Il ne suscita point les grands écrivains et les grands artistes de son règne, cela n’est point au pouvoir d’un homme ; mais il fut bienveillant pour eux. On aime à voir le roi de France attendant à la porte de Robert Estienne que le roi des typographes ait fini de corriger ses épreuves. D’un autre côté, il fut tyrannique, cruel envers les protestants de son royaume ; égoïste, dépensier, et il aima trop les plaisirs des sens.

Henri II recommença tout de suite la grande lutte. Metz, Toul et Verdun sont enlevés : excellente conquête. Le vieux Charles-Quint tout irrité accourt sous les murs de Metz ; mais la noblesse française et François de Guise à sa tête défendent la place avec un courage invincible. Charles se retire, laissant le tiers de son armée dans les boues et les glaces de l’hiver. « Je vois bien que la fortune est femme, dit-il amèrement ; elle aime mieux un jeune roi qu’un vieil empereur. » Trois ans après il abdique, trompé dans son ambition et dépité contre les choses humaines (1559). La guerre continua sous Philippe II. Le connétable de Montmorency en compromit le succès par sa malheureuse défaite de Saint-Quentin ; mais Guise survint et releva les affaires par son audacieuse conquête de Calais. À la vérité, le traité de Cateau-Cambrésis (1559) ne fut pas ce qu’il aurait dû être, puisque la France abandonnait cent cinquante places ou châteaux dont elle s’était emparée ; elle occupait la Bresse, le Bugey, la Savoie, qu’elle eût pu garder. C’étaient, cependant, de bien précieuses acquisitions que celles des Trois-Évêchés et de Calais. Les frontières de la France se faisaient du côté du nord et du nord-est, le plus vulnérable. En définitive, malgré beaucoup de fautes et de revers, les règnes de François Ier et de Henri II avaient été remplis par une résistance glorieuse et victorieuse au colosse de l’époque.

D’où venait donc cette puissance de notre pays ? Elle venait de la révolution intérieure qui avait abattu la féodalité, allégé le sort du peuple et formé une seule nation à la place de cent petits États. Par là les ressources de la France, autrefois dispersées et souvent neutralisées par l’antagonisme, concouraient toutes au même but. Le symptôme de cette révolution fut la toute-puissance de la royauté, dont le pouvoir était alors une protection pour la nation laborieuse et intelligente, et qui réduisait au rôle de courtisans les vaincus de Crécy, de Poitiers et d’Azincourt. Pourtant, que de misères encore pour le peuple ! Quel fardeau toujours croissant de tailles et d’impôts, sans préjudice des dîmes du clergé et des droits féodaux de la noblesse ! Que de vols dans l’administration des finances ! Que de caprice dans le gouvernement ! Que de favoritisme dans la distribution des charges et des faveurs ! Écoutons un contemporain, le maréchal de Vieilleville : « Il n’y avoit que les portes de Montmorency et de Guise pour entrer en crédit. Tout estoit à leurs neveux ou alliés : maréchaussées, gouvernements de provinces, compagnies de gens d’armes, rien ne leur échappoit... Il ne leur échappoit, non plus qu’aux hirondelles les mouches, état, dignité, évêché, abbaye, office ou quelque autre bon morceau qui ne fust incontinent englouti, et avoient pour cet effet en toute partie du royaume gens apostés et serviteurs gagés pour leur donner avis de tout ce qui mouroit parmi les titulaires des charges et bénéfices. » Aussi, quand les états d’Or-