Aller au contenu

Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LXXXIII
INTRODUCTION

c’est la libre fantaisie d’un causeur aimable et prodigieusement instruit, qui se déroule capricieusement sous vos yeux. L’idée y prend un corps, l’abstraction devient vivante. Le livre et l’écrivain ne sont qu’une même chose. Montaigne a pour ainsi dire vécu son ouvrage au lieu de le composer. »

Parmi les illustrations du Périgord figure au premier rang l’archevêque de Cambrai, Fénelon, l’immortel auteur de Télémaque. Bien que docile à la parole de l’Église, Fénelon est l’apôtre de l’inspiration intérieure. C’est lui qui proclame qu’il ne faut pas chercher la lumière au dehors de soi, et que chacun la trouve en soi-même. Cette lumière, elle est commune à tous les hommes, supérieure à eux ; elle est parfaite, éternelle, immuable, toujours prête à se communiquer en tous lieux et à redresser tous les esprits qui se trompent. Elle se montre à la fois à tous les hommes, dans tous les coins de l’univers. C’est dans son livre des Maximes des saints que Fénelon avait résumé sa doctrine, livre qui déplut à la fois à la cour de Rome et à Louis XIV. « Un instinct de despote, ajoute M. Demogeot, avertissait ce prince que l’édifice si régulier, si logique de son pouvoir absolu avait là un ennemi d’autant plus redoutable qu’il était moins violent. On disait avec raison que la grande hérésie de l’archevêque de Cambrai était en politique et non pas en théologie, et Louis l’appelait nettement le plus bel esprit et le plus chimérique de son royaume. Les chimères de Fénelon devaient être bien dépassées par les réalités de l’avenir, et c’est un honneur pour lui d’avoir appelé des réformes qui auraient pu dispenser la France d’une révolution. La lettre hardie qu’il écrivit au roi, en 1704, sur les abus de son règne ; les Mémoires particuliers qu’il rédigea en 1711 et qui devaient servir de programme à un règne nouveau, enfin ses admirables Directions pour la conscience d’un roi rendront sa mémoire éternellement chère à tous les amis d’une sage liberté.

Montesquieu aussi est bien l’enfant de sa province ; mais il a subi l’influence de son siècle aussi bien que de son pays. Il doute des vérités de la religion, mais sans trop s’y appesantir et sans s’en préoccuper. Son scepticisme se borne là ; partout ailleurs il est dogmatique et affirmatif, et l’on retrouve en lui le trait général des grands génies du xviiie siècle, la recherche théorique et formelle de la vérité elle-même, L’abbé Raynal, moins grand de génie que Montesquieu, a comme lui soif de la vérité. Le doute n’est pour lui, comme pour toute l’école spiritualiste, qu’un point de départ, et non pas un but, un doux oreiller, comme pour Montaigne.

Cependant l’influence du christianisme a laissé dans quelques génies une empreinte plus profonde. Là est né saint Vincent de Paul, également dévoué à la religion et à l’humanité, qui puisa dans son cœur ses plus nobles inspirations pour qui les discours étaient des actes, et qui par là mérite une place dans l’histoire littéraire, comme ses travaux apostoliques et ses fondations pieuses lui assurent un droit immortel à la reconnaissance des peuples. Frayssinous, dont les conférences religieuses ont fait tant de bruit dans notre siècle, appartient au Midi, ainsi que cet illustre archevêque de Paris, Mgr Affre, qui a donné sa vie pour mettre un terme aux luttes affreuses dont Paris fut ensanglanté pendant plusieurs jours, en juin 1848.

Voilà de bien grands noms ; mais ces contrées si vives, si poétiques, où l’imagination déborde, devaient produire aussi des littérateurs, des poètes, des orateurs.

Dès le xiie et le xiiie siècle, nous trouvons les troubadours Bérenger de Palasol, Guillaume de Cabestan et Bertram de Born, leur contemporain et leur maître, dont la poésie s’élève avec une impétuosité si violente, quand il peint la joie terrible des batailles et cet affreux plaisir de ravager et de tuer. Plus tard, Clément Marot, ce poète si naïf et si fin, si gracieux et si mordant, qui fit école en France, et aujourd’hui même encore a des imitateurs. Né à Cahors en 1495, « cet aimable poète, dit encore M. Demogeot, absorbe et résume en lui sous une forme plus pure toutes les qualités de notre vieille poésie ; il en possède tous les charmes, mais il en a aussi toutes les limites. On retrouve en lui la couleur de Villon, le naturel de Froissart, la délicatesse de Charles d’Orléans, le bon sens d’Alain Chartier et la verve mordante de Jean de Meung. Tout cela est rapproché, concentré dans une originalité piquante et réuni par un don précieux qui forme comme le fond de cette broderie brillante d’esprit. Marot est le premier type véritable de l’esprit français dans son acception la plus restreinte, mais la plus distinctive. Il semble que la poésie du xive et du xve siècle, sur le point de s’éclipser devant l’éclat nouveau de la Renaissance, ait ramassé toutes les richesses pour en douer cet heureux héritier des trouvères. »