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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/97

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LXXXIV
LA FRANCE ILLUSTRÉE

Théophile de Viau, plus critiqué que connu, qui doit à son siècle des travers incroyables, et à lui-même des traits de poésie souvent admirables ; — Dubartas, plein de verve, d’imagination, quelquefois de grandeur, mais dont le goût n’égalait pas le génie ; c’est lui qui, dans un vers, appelait le soleil grand duc des chandelles ; — Le Franc de Pompignan, qui par sa vanité s’attira les railleries de Voltaire, mais dont il reste quelques strophes pleines de poésie et de grandeur ; et, enfin, Berquin, ce nom si cher à l’enfance, sont aussi des hommes de ces contrées.

Parmi les prosateurs, nous trouvons Brantôme, le continuateur de Froissart, comme lui plein de vie et de mouvement, comme lui naïf et toujours intéressant, qui sait si bien s’emparer de ses lecteurs et les reporter aux scènes qu’il décrit, mais dont l’imagination quelquefois déréglée se laisse emporter à des tableaux qui n’ont pas pour excuse, comme ceux de Juvénal, l’indignation du narrateur ; — Henri IV, dont la correspondance est si remarquable ; — Cyrano de Bergerac, qui fit l’histoire comique du soleil et de la lune, ouvrages singuliers, mais souvent pleins de verve, et qui dans son Pédant joué a imaginé une situation et une scène que Molière, prenant, dit-il, son bien où il le trouvait, a pu transporter dans une de ses comédies ; — De La Calprenède, auteur de Cléopâtre et de Cassandre, romans qui excitaient l’enthousiasme de Mme de Sévigné, et dont la longueur seule explique l’oubli où ils sont tombés ; — Garat, écrivain de talent, qui a tout fait pour la gloire de ceux qu’il a loués ; — Guibert, qui écrivit des tragédies et publia des ouvrages sur divers sujets militaires, dont la netteté, la précision mérita les éloges et excita l’admiration de Voltaire. N’oublions pas Mme Cottin, dont les romans sont remplis d’un intérêt si saisissant, et qui sut peindre avec tant de vérité les passions du cœur humain ; ni ces deux poètes si complètement méridionaux, si exclusivement inspirés par leur pays, qui tous deux ont eu le tort d’écrire dans une langue connue seulement dans quelques provinces, que personne n’apprend, et dont le destin a été si divers, que l’un a trouvé la gloire dans la cause même qui a condamné l’autre à l’obscurité et à l’oubli : Goudoulin et Jasmin.

Ici trouve sa place cette immortelle Gironde, qui lutta si vaillamment contre les montagnards, dans la Convention : Fonfrède, Guadet, Gensonné, tous jeunes et éloquents, tous unis dans la vie et dans la mort, et qui périrent rassasiés de triomphes et de gloire à cet âge où la plupart des génies s’ignorent encore ; et leurs dignes successeurs, Lainé, un grand caractère qui osa résister à Napoléon Ier, et le général Lamarque, une des plus pures gloires militaires et oratoires de notre siècle. Voilà déjà une bien longue liste, et que de noms encore qu’on ne peut cependant pas passer sous silence !

Tous les écrivains que nous avons énumérés représentent tous un côté littéraire et poétique de l’imagination méridionale. Voyons ce qu’a produit la finesse d’esprit et la pénétration des hommes de ces provinces, appliquées aux sujets philosophiques ou scientifiques.

Tels sont le cardinal d’Ossat, l’illustre diplomate ; La Boétie, qui fit à vingt ans un ouvrage immortel par la vigueur du style et la hardiesse de la pensée ; Maine de Biran, l’éminent philosophe, le plus prudent métaphysicien de son siècle ; La Romiguière, qui exposa et développa le système de Condillac avec tant de mesure, et honora par son talent comme par son caractère les convictions généreuses auxquelles il était resté fidèle ; Lacépède, l’ami et l’héritier de Buffon, qui le choisit pour continuer et compléter son œuvre ; Bastiat, l’économiste profond, qui sut être clair en des sujets abstraits et arides ; l’illustre Arago, qui plus que tout autre eut la gloire de rendre les sciences populaires et de mettre à la portée de tous une des études les plus ardues et les plus effrayantes pour l’imagination de l’homme, et qui, à toutes ces qualités, joignait celles de grand écrivain et d’habile orateur, et, enfin, Léon Gambetta, l’éloquent tribun de la troisième République.


Languedoc. — « C’est une bien vieille terre que ce Languedoc. Vous y trouverez partout les ruines sous les ruines, les Camisards sur les Albigeois, les Sarrasins sur les Goths ; sous ceux-ci, les Romains, les Ibères. Les murs de Narbonne sont bâtis de tombeaux, de statues, d’inscriptions. L’amphithéâtre de Nîmes est percé d’embrasures gothiques, couronnées de créneaux sarrasins, noircis par les flammes de Charles-Martel. Mais ce sont encore les plus vieux qui ont le plus laissé ; les Romains ont enfoncé la plus profonde trace leur Maison-Carrée, leur triple pont du Gard, leur énorme canal de Narbonne, qui recevait les plus grands vaisseaux. » Tel est, en quelques mots, suivant Michelet, le portrait du vieux Languedoc.