Page:Maman J. Girardin.pdf/154

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Encore une fois, Mme Gilbert déposa son ouvrage, sans témoigner la moindre impatience. Elle prit des mains de Madeleine une petite soucoupe sur laquelle il y avait une tasse. La tasse contenait une potion fort amère et fort désagréable, que Lucien devait prendre tous les jours à la même heure.

Quand Mme Gilbert eut remué l’horrible mélange avec la petite cuiller, elle s’approcha de Lucien, et Lucien lui sourit. Elle lui mit la tasse dans la main droite, et lui tint la main gauche dans les deux siennes. Lucien but avec un profond dégoût, mais sans sourciller. Tant d’énergie dans un pauvre petit être si frêle et si nerveux méritait bien une récompense. Mme Gilbert embrassa au front le jeune héros. Ni promesses, ni menaces, ni prières ne pouvaient autrefois triompher de son insurmontable dégoût. Le docteur Durand, ayant eu connaissance de l’affection profonde que son petit malade portait à Mme Gilbert, avait suggéré l’idée de lui faire présenter la potion par elle, et elle avait accepté avec empressement cette mission de confiance. Un second coup de sonnette attira Marie à la porte. Cette fois Lucien eut beau se pencher pourvoir ; la personne qui avait sonné avait été introduite dans le salon, et Marie, par la fenêtre du boudoir, tendit une carte a Mme Gilbert. Mme Gilbert lut avec surprise le nom qui était sur la carte, sembla se consulter, et finit par se rendre au salon.

Elle y trouva Mme la comtesse de Minias, qui se tenait debout, pâle, émue et presque intimidée. Oui, Mme de Minias, qui avait l’air d’une duchesse, était intimidée devant cette petite femme toute simple, toute souriante, et qui avait la tête de moins qu’elle. Au premier coup d’œil qu’elle jeta sur Mme Gilbert, sa timidité s’évanouit, et comme elle avait mis franchement et courageusement son orgueil sous ses pieds, elle lui expliqua nettement ce qu’elle attendait d’elle. Mme Gilbert fut un peu surprise et même un peu inquiète, mais elle accorda de bonne grâce ce qu’elle ne savait comment refuser.

Puis, la glace rompue, ces deux dames se mirent à causer presque intimement, et Mme Gilbert s’aperçut avec un grand soulagement de cœur qu’elle n’avait pas commis une imprudence en acceptant d’introduire sous son toit deux enfants étrangers. Alors toute la bonté qui était en elle se montra sans effort, et Mme de Minias tomba sous le charme, comme tout le monde. Elle y tomba si