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Page:Maman J. Girardin.pdf/193

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sonnes qui ne fument pas sont facilement incommodées de la fumée de celles qui fument.

La nièce voulut protester ; mais il lui déclara péremptoirement qu’il croyait savoir aussi bien qu’un autre les égards que l’on doit aux dames.

« Les soirées sont fraîches, reprit la femme du tonnelier, et si vous avez des rhumatismes…

— J’en ai, dit le vieux conducteur.

— Ne restez pas auprès de la fenêtre. »

Le vieux conducteur battit prudemment en retraite jusqu’au fond de la pièce, et y demeura jusqu’à ce que l’air eût été renouvelé.

« Elle pense même à mes rhumatismes, se dit-il dans la demi-retraite où il s’était confiné. Excellente cuisinière, avisée et bonne ! il faut absolument que je les décide ! »

La fenêtre refermée, les trois amis se réunirent de nouveau autour de la table.

« Voulez-vous que nous causions sérieusement ? demanda l’oncle d’un ton grave.

— À votre volonté, mon oncle, répondit le tonnelier. L’oncle se tourna vers sa nièce, qui fit un signe d’assentiment.

— Vous comptez faire d’André un tonnelier ?

— Il a pris goût au métier, répondit le neveu.

— Quand il sera plus grand, plus fort et plus habile, comptes-tu avoir de l’ouvrage pour vous deux ?

— Peut-être, mais ce n’est pas sûr.

— Alors que fera-t-il ?

— Il fera comme les autres, il ira chercher de l’ouvrage d’atelier en atelier, jusqu’à ce qu’il s’établisse quelque part comme patron. » L’oncle Pichon se tourna diplomatiquement du côté de sa nièce et lui dit : « Alors, ma pauvre fille, il faudra qu’il te quitte un jour ou l’autre. »

Elle baissa la tête avec une expression de résignation, et, de ses mains tremblantes, elle dénoua et renoua le nœud de son cordon de tablier, sans presque savoir ce qu’elle faisait.

L’oncle Pichon la regardait avec une compassion profonde ; et pourtant il n’était pas fâché de l’effet que sa réflexion avait produit sur elle.