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grandes mêlées. Ils tenaient leurs regards attachés sur Lucien et ne remarquaient plus les signes de Georges et de Louise.

Lucien, prisonnier de la maladie, chantait avec enthousiasme le charme de la liberté et de l’action au grand air. Cet enthousiasme avait réveillé un écho dans l’âme de Maurice et de Nathalie, prisonniers si longtemps d’une règle étroite et d’une’vie monotone.

Cette communauté de sentiments et d’aspirations établit tout d’un coup un courant de sympathie entre leurs âmes et celle de Lucien.

Quand le récit fut terminé, ils soupirèrent profondément, comme on soupire quand on se réveille, et ils continuèrent à regarder Lucien, s’émerveillant de la puissance qui était en lui, et pleins d’un respect enfantin pour une supériorité si incontestable.

Mme Gilbert avait atteint son but: elle laissa les enfants seuls. Aucun d’eux ne témoigna le moindre désir de jouer à des jeux bruyants. Mais la glace étant rompue, ils causèrent comme de vieilles connaissances. Par une pente fatale, la conversation revenait invariablement au récit de Lucien. L’admiration de Maurice et de Nathalie était si vraie et si naïve, que le cœur de Lucien battait de joie et d’orgueil. Il cessa de comparer d’un œil attristé la personne florissante de Maurice avec sa chétive personne ; et il lui pardonna du fond de son âme d’être fort comme un jeune chêne et rose comme une pêche. Maurice avait son lot, et lui il avait le sien.

Madeleine parut à l’heure habituelle, et Mme Gilbert lui prit la potion des mains. Georges expliqua à Maurice et Nathalie combien cette potion était amère, et combien il fallait être courageux pour la boire sans faire la grimace.

Lucien, se sentant regardé, avala la drogue nauséabonde tout d’un trait, sans sourciller. « Merci, maman, » dit-il en remettant le verre sur l’assiette.

Mme Gilbert l’embrassa. Au mot de « maman, » Maurice avait dressé l’oreille, et quand Mme Gilbert embrassa le malade, il se dit, à part lui, qu’il boirait bien un verre d’encre pour avoir le droit d’appeler Mme Gilbert sa maman, et d’être embrassé comme Lucien. Ce nouveau succès rendit Lucien tout à fait magnanime.

« Montrez-leur donc la vue ! » dit-il à Georges en lui désignant Maurice et Nathalie.

Le frère et la sœur, embarrassés comme on l’est toujours quand on entre pour la première fois dans une maison dont on ne connaît