souvent du capitaine Maulevrier. Bon garçon, très bon garçon, mais un vrai diable au feu ! C’est en 70 qu’il a été promu général de brigade sur le champ de bataille, et le voilà général de division.
— Cela fait honneur au régiment, reprit gravement l’ex-lancier.
— J’ose le croire ! répliqua le lieutenant gris de fer en se rengorgeant. Avec cela, quatre-vingt mille livres de rentes.
— Vous dites ?
— Je dis : quatre-vingt mille livres de rentes.
— Excusez de peu ! » s’écria le lieutenant chauve, en ouvrant de si grands yeux, que la dame du comptoir en fut troublée, et que le garçon se sentit tout mal à l’aise dans ses escarpins vernis. La dame de comptoir saisit sa plume et se mit à faire le compte d’un consommateur imaginaire pour se donner une contenance. Le garçon, à tout hasard, saisit un journal, et se mit à l’enrouler autour de la planchette pour faire quelque chose et n’avoir pas l’air d’un fainéant.
Le lieutenant chauve reprit :
— Sans compter la paye et les décorations ?
— Sans compter la paye et les décorations.
— Si j’avais seulement les quatre-vingt mille livres de rentes, sans la paye et les décorations, dit le lieutenant chauve, je n’attendrais pas qu’on me fendît l’oreille, j’achèterais un hôtel à Paris et un château pas loin de Paris, parce qu’il n’y a que Paris au monde !
— Voyez, répondit le lieutenant gris de fer, comme les goûts sont différents. Savez-vous ce qu’il cherche, lui ? Une simple maison dans une petite bourgade de ces pays-ci ; il la guette, comme vous ou moi nous guetterions un château.
— Qu’est-ce qu’il fera par là ?
— On dit que la sœur de sa femme est mariée au percepteur de l’endroit, et qu’ils veulent vivre tout près les uns des autres.
— Et comment appelez-vous cette bourgade ? demanda le lieutenant chauve.
— Je crois que c’est la Silleraye. Garçon ! est-ce qu’il n’y a pas quelque part ici un endroit qui s’appelle la Silleraye ?
— Si, mon capitaine.
— Qu’est-ce que c’est que la Silleraye, comme résidence ?
— On dit que c’est une petite ville très plaisante. »
Le lieutenant gris de fer plongea son nez dans son verre.