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la brèche aux buffles.

autre que mon maître queux, François Préel. À mon départ de Paris, mon valet de chambre étant malade, François s’est aussitôt offert pour le remplacer. Inutile de dire avec quel empressement je me suis hâté de le prendre au mot. Je vais vivre pendant de longues semaines au milieu des cow-boys, des colonels et des juges qui constituent la société du Far-West. J’aurai de fréquents rapports avec les Sioux, Ogalallas, Nez-Percés et autres Peaux-Rouges. Ce sont des gens d’humeur irascible et batailleuse. On a déjà essayé de bien des moyens pour les faire vivre en paix. On n’en est jamais venu à bout. J’ai toujours cru que, bien mieux que la musique, la bonne cuisine adoucissait les mœurs. Comment voulez-vous que des gens qui ne vivent que de lard rance n’aient pas le caractère aigri ? Initiez-les aux félicités de la gastronomie ! au lieu de s’entre-déchirer, ils ne songeront plus qu’à s’offrir à dîner les uns aux autres. À l’heure qu’il est, les plats favoris des Sioux sont le chien rôti et les serpents à sonnettes grillés. Comment s’étonner qu’ils soient féroces et barbares ? Que François révèle aux Sioux l’art de mettre un chien en civet et de servir les serpents à sonnettes à la tartare, n’est-il pas évident que les Sioux ne se sentiront pas le courage de résister à une civilisation qui se révèle à eux par de tels bienfaits ?

François a d’ailleurs conscience de la grandeur de la mission qui lui incombe. Il l’envisage à un double point de vue. D’une part, il est prêt à initier les peuples déshérités qu’il visite aux éléments de son art ; de l’autre, il consigne religieusement sur son carnet toutes les observations culinaires qu’il peut recueillir. Il m’a confié que le résumé de ces impressions devait paraître à notre retour dans le Moniteur de la cuisine,