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la brèche aux buffles.

Buffalo-Gap a eu des hauts et des bas boomé et déboomé, pour employer l’expression locale. Il y a un an, quand le chemin de fer y arriva, elle avait douze cents habitants qui demeuraient à une demi-lieue d’ici. La compagnie leur ayant joué le mauvais tour de ne pas faire passer sa ligne où ils l’attendaient, ils ont tous transporté leurs maisons aux environs de la gare, faisant comme Mahomet, qui allait à la montagne quand il était prouvé que la montagne ne voulait pas venir à lui.

Une fois qu’on eut tracé à nouveau les cinq ou six avenues et les vingt-cinq à trente rues que comporte toute city américaine, et que les maisons se furent de nouveau alignées le long desdites artères, le bruit se répandit que je ne sais quelle ville du voisinage boomait. Aussitôt tout le monde y courut, emportant la plus grande partie des maisons. Au bout de quelques semaines, les avenues n’étaient plus indiquées que par quelques rares édifices trop grands pour être emportés ou trop misérables pour valoir les frais d’une démolition. À un certain moment, il n’y avait plus qu’une centaine d’habitants restés fidèles à la fortune ou plutôt à l’infortune de la cité déboomée. C’étaient du reste des gaillards qui ne plaisantaient pas avec la morale. Quelques jeunes personnes d’allures un peu suspectes étaient venues s’installer dans une maison située précisément en face du bar de notre ami Flynn, auquel elles enlevèrent du coup la clientèle de tous les cow-boys du voisinage. Un soir, après boire, les consommateurs qui lui étaient restés fidèles déclarèrent que les citoyens sérieux de Buffalo-Gap ne pouvaient tolérer un tel scandale, et cette opinion répondait si bien au sentiment général, que séance tenante on alla tirer de leur remise les deux pompes de la ville, on en ajusta les