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Page:Mandat-Grancey La brèche aux buffles - 1889.djvu/286

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la brèche aux buffles.

mes camarades, commandant un transatlantique, me racontait que, l’an passé, il arriva en rade de New-York un jour qu’il faisait très froid. Il alla chercher le mouillage auquel on attend la visite de la santé. Arrivé à son relèvement, il commande : « Mouille ! » L’ancre ne tombe pas. Pendant la nuit précédente, il y avait eu du gros temps : les embruns tombés sur le bossoir s’étaient congelés : il fallut casser à coups de masse deux ou trois tonnes de glace pour que l’ancre, qui pèse certainement mille ou douze cents kilogrammes, glissât sur son plan incliné.

Les malheureux fermiers, nos voisins, qui demeurent le long du French-Creek et de Lame-Johnny-Creek doivent, eux surtout, souffrir cruellement dans leurs maisons ouvertes à tous les vents. Chaque matin il en passe quinze ou vingt devant notre porte, allant chercher leur provision de bois dans la forêt. La plupart demeurent à vingt-cinq ou trente kilomètres. Il leur en faut au moins une trentaine de chariots, car ce bois brûle étonnamment vite, et dans ce pays-ci la charge d’un chariot est bien petite. Ils sont donc obligés de consacrer près d’un mois de leur travail, c’est-à-dire de leur revenu, rien qu’à l’acquisition de leur combustible. Comment peuvent-ils se tirer d’affaire ?

Du reste, plus j’étudie ce pays-ci et plus j’acquiers la conviction que la réussite d’un émigrant qui vient s’y établir avec peu ou point de capital, pour faire de l’agriculture, est purement et simplement une affaire de chance. Si la localité dans laquelle il a pris sa préemption devient importante ; si, pour une cause ou une autre, la population y afflue, il se trouvera quelque compagnie ou quelque spéculateur qui lui donnera un bon prix de ses terres pour les réunir à d’autres et en