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Page:Mandat-Grancey La brèche aux buffles - 1889.djvu/288

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la brèche aux buffles.

ce quadrupède commençait à se prolonger et je me demandais si je n’allais pas me décider à lui fausser compagnie, quand l’homme reparut sur l’autre rive avec sa vache, qui cette fois se décida, sans trop se faire prier, à passer l’eau. L’homme vint à moi aussitôt :

Thank you very much, sir ! much obliged (grand merci) me dit-il en me saluant.

Cette politesse m’étonna. En Amérique, on se rend parfois service, mais on ne se remercie jamais. À ce moment, un troisième cavalier survint. C’était Sam Bunker, le herder, qui rentrait de sa tournée.

— Tiens ! dit-il en voyant mon compagnon, le gouverneur ! Comment cela va-t-il, gouverneur ? Il y a bien un an que je ne vous avais vu ! Et la veille femme ?

— Merci, Sam, cela va bien ! la vieille femme aussi !

Je crus pouvoir interrompre ces touchantes effusions.

— Ah ! dis-je à mon tour, vous êtes le père de Sam. Est-ce que vous êtes Américain ?

— Non, monsieur : je suis Anglais. Sam est depuis longtemps dans le pays. Il a émigré quand il n’avait que quinze ans. Moi, je n’y suis que depuis trois ans !

— Et qu’est-ce que vous faisiez en Angleterre ?

— J’étais garde, monsieur, chez le colonel sir Harry P…, à trente milles de Londres.

— Est-ce que vous ne vous trouviez pas bien chez lui ?

— Oh ! si, monsieur. J’avais vingt-cinq shillings de gages par semaine, une très jolie maison, autant de lapins que j’en voulais : nous avions une chasse superbe. On a tué jusqu’à six mille faisans dans la saison. Tous les invités de mon maître me donnaient des pourboires. Il y a des années où j’en ai reçu pour plus de cinquante livres !

— Et pourquoi diable êtes-vous venu ici ?