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la brèche aux buffles.

à son tour, a fait un bond prodigieux. Puis nous avons tué le serpent, et les médecins s’en sont emparés pour le disséquer.

Il paraît du reste que c’est la journée aux serpents. En rentrant, nous avisons François dans la cuisine dont il a pris possession. Il est vêtu de la toque et de la veste blanche classiques : mais il a enfermé ses extrémités inférieures dans une paire de bottes à l’écuyère, en cuir jaune, ornées de formidables éperons, et quand nous lui demandons les raisons de cet étrange solécisme, il nous avoue qu’ayant été se promener dans le jardin pendant notre absence, il y a vu, lové, sous une touffe de petits pois, un si énorme serpent, qu’il s’est empressé de revêtir les bottes en question, bien décidé à ne plus les quitter tant qu’il restera dans ce pays-ci. Le serpent a été tué un instant après. C’est un bullsnake fort inoffensif, mais d’une longueur imposante ; quatre ou cinq pieds au moins. Le docteur G…, naturaliste féroce, s’en empare pour le dépouiller de sa belle peau brune.

Fort heureusement ce petit incident, s’il a troublé momentanément la sérénité d’âme de mon serviteur, lui a laissé le plein exercice de toutes ses autres facultés ; ce qui, de l’avis général, est surabondamment prouvé par la conception et surtout par l’exécution du dîner qu’il nous a improvisé. Quel en était le menu ? Je m’aperçois que j’ai négligé de le transcrire dans mes notes. D’ailleurs, cela n’intéresserait peut-être pas le lecteur. Tout ce dont il me souvient, c’est qu’il comportait un salmis de poules de prairie et un soufflé au café qui, après avoir été dégustés par l’honorable société avec le recueillement auquel ils avaient droit, lui ont laissé une impression tout à la fois exquise, profonde et durable.