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la brèche aux buffles.

quée, en attendant qu’elle figure dans je ne sais quel musée. G… me fait admirer le mécanisme ingénieux des glandes qui, comprimées par le fait même de la morsure, déversent dans le canal de la dent le venin qu’elles contiennent, pour le répandre dans la blessure. Il paraît même que tout est prévu. Si une dent se casse, il y en a deux ou trois de rechange prêtes à prendre sa place. Étant donné le but à atteindre, ce luxe de précautions me semble un peu exagéré de la part d’une nature que les poètes aiment à qualifier du nom de bienveillante.

G… a beau me faire admirer la peau qu’il vient de dépouiller et le mécanisme des écailles qui sortent toutes d’une matrice, comme les ongles, je ne regarde tout cela qu’à bonne distance. Un serpent même mort m’inspire une répugnance indéfinissable. Si notre première mère Ève avait été comme moi sous ce rapport, l’humanité en serait encore à se promener sous un costume sommaire : ce qui serait du reste bien désagréable dans un pays à température aussi variable que celui-ci. Cette horreur des serpents me fait compatir aux terreurs de François. Je ne suis moi-même tranquille, dans ce pays-ci, que lorsque j’ai des bottes ou des guêtres. Cependant les accidents sont assez rares. Un serpent à sonnettes cherche toujours à éviter la rencontre de l’homme. Seulement, c’est un animal à la fois très lent et très courageux. Dès qu’il croit ne pas pouvoir échapper, il se dresse sur sa queue et essaye de mordre. Il arrive assez souvent qu’un bœuf ou un cheval, qui s’avancent lentement et sans faire de bruit tout en broutant, finissent par mettre le nez sur un serpent endormi, qui les pique aux naseaux ou à la langue. Dans ce cas, ils meurent presque tou-