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la brèche aux buffles.

Dans ce pays-ci, je ne vois guère, en fait de travailleurs, que les cow-boys et les fermiers. Or je me suis donné quelque peine pour faire la monographie d’une famille de cow-boy. Le premier auquel je me suis adressé répondait au nom pittoresque de Speckled-faced-Bob (Bob à la figure tachée) ; — je mets « figure » pour être convenable, mais ce n’est pas le vrai mot. — Il m’a répondu qu’il croyait, sans en être bien sûr, être né dans l’Orégon, qu’il ne savait pas au juste combien de frères et de sœurs il pouvait avoir, et que quelqu’un lui avait dit, il y a cinq ou six ans, que son père avait dû être scalpé par les Indiens dans la Colombie anglaise. Ces renseignements m’ont semblé trop vagues pour servir de base à une monographie sérieuse.

Je me suis encore adressé à un autre, qui m’intriguait un peu parce que j’avais remarqué que, toutes les fois qu’il était ivre, — ce qui lui arrivait du reste très souvent, — il s’exprimait en latin avec une grande élégance ; mais il éluda mes questions. Plus tard, un prêtre catholique de l’Est, venu en villégiature dans les Black-Hills, le reconnut pour avoir été pendant six ans son camarade au séminaire de la Propagande à Rome. Celui là non plus n’avait pas de famille !

Si j’insiste sur tous ces échecs, c’est que je voudrais faire voir que le métier de monographiste est plus difficile qu’on ne le croit à première vue. Le public devient maintenant horriblement exigeant pour les pauvres voyageurs. On leur demande des documents dont la recherche, — pour peu qu’ils soient consciencieux, — doit les mettre souvent dans les positions les plus délicates. Quand un touriste des temps passés voulait décrire les peuples chez lesquels il avait séjourné, il disait que leur roi avait le port noble, la figure