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MANUEL D’ÉPICTÈTE.

en y allant la qualité de ce qui doit arriver, si du moins tu es philosophe [1]. Car, si c’est une des choses qui ne dépendent point de nous, il est de toute nécessité que ce ne soit ni un bien ni un mal.

II. N’apporte donc auprès du devin ni désir ni aversion, et ne l’approche pas en tremblant, mais sache bien que tout ce qui arrivera est indifférent et ne te regarde en rien ; quoi que ce soit, il sera en ton pouvoir d’en user bien, et cela, personne ne t’en empêchera. Avec assurance donc, et comme vers des conseillers, va vers les dieux. Au reste, quand tu auras reçu d’eux un conseil, rappelle-toi quels conseillers tu as pris, et à qui tu désobéiras si tu n’as pas confiance en eux.

III. Va consulter l’oracle comme Socrate voulait qu’on y allât[2], sur ces choses seules où toutes les recherches n’ont rapport qu’à l’événement, et où l’on ne peut tirer secours ni de la raison ni d’aucun art pour connaître l’objet qu’on se propose[3]. Mais, quand il faudra t’exposer au péril pour un ami ou pour la patrie, ne demande pas à l’oracle si tu dois t’y

    terrogent sur la manière d’honorer les dieux : Suivez les lois de votre pays. Or la loi de tous les pays est que chacun sacrifie selon ses moyens. Quelle manière plus belle et plus pieuse d’honorer les dieux, que celle qu’ils prescrivent eux-mêmes ! »

  1. Ce sont la raison et la volonté humaine qui, dans le système stoïcien, font la qualité et le prix des choses. (V. plus haut, p. ii.).
  2. Socrate trouvait ridicule d’aller consulter les oracles sur des questions que les dieux nous ont mis à portée de résoudre par nos propres lumières : comme si on leur demandait si l’on doit confier son char à un cocher habile ou maladroit, son vaisseau à un bon ou à un mauvais pilote. Il taxait d’impiété la manie d’interroger les dieux sur ce qu’on peut aisément connaître, soit par le calcul, soit en employant la mesure ou le poids. — Apprenons, disait-il, ce que les dieux nous ont accordé de savoir ; mais recourons à l’art divinatoire pour nous instruire de ce qu’ils nous ont caché ; ils se communiquent à ceux qu’ils favorisent. » (Mémorables, I, i).
  3. Par exemple, dans la science, dans la philosophie, dans la morale, dans la religion naturelle, on peut se servir de la raison ; — il sera donc inutile d’aller consulter les prêtres et les devins pour savoir comment penser, comment agir, comment con-