Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
85
EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

la de fers si cela te semble bon. — Cela ne te fait rien ? — Cela ne me fait rien. — Je te montrerai que je suis le maître. — Comment le pourrais-tu ? Jupiter m’a fait libre. Crois tu qu’il ait pu permettre que son propre fils devint esclave ? Tu es le maître de ma carcasse ; prends-la. »

Mais quand nous avons, au sujet des choses qui ne relèvent pas de notre libre arbitre, l’opinion absurde qu’elles sont des biens ou des maux, il nous faut de toute nécessité faire la cour aux tyrans. Et plût au ciel que ce ne fût qu’aux tyrans, et pas aussi à leurs valets de chambre ! Comment un homme devient-il tout à coup un génie, parce que César l’a préposé à ses pots de chambre ?

Épaphrodite avait un cordonnier qu’il vendit parce qu’il n’était bon à rien. Le sort fit que cet homme fut acheté par une des créatures de César, et devint le cordonnier de César. As-tu vu en quelle estime le tint alors Épaphrodite ? « Comment va mon cher Félicion ? Oh ! que je t’aime ! » Et si quelqu’un de nous demandait : « Que fait Épaphrodite ? » On nous répondait qu’il était en conférence avec Félicion ! Ne l’avait-il donc pas vendu comme n’étant bon à rien ?

Quelqu’un a-t-il obtenu le tribunat, tous ceux qui le rencontrent le félicitent. L’un lui baise les yeux, un autre le cou, et ses esclaves les mains. Il arrive dans sa maison : il y trouve tous les flambeaux allumés. Il monte alors au Capitole, et y offre un sacrifice. Qui donc en a jamais offert pour avoir eu de bons désirs et pour avoir conformé sa volonté à la nature ? C’est que nous ne remercions les dieux que de ce que nous prenons pour un bien.

Quelqu’un aujourd’hui me parlait du titre de prêtre d’Auguste. « Mon ami, lui dis-je, laisse là cette affaire : tu y dépenseras beaucoup pour n’arriver à rien. — Mais les rédacteurs des arrêtés officiels y inscriront mon nom ! — Est-ce que tu seras auprès des lecteurs pour leur dire : C’est moi dont ils ont écrit le nom ? — Mais mon nom subsistera ! — Écris-le sur une pierre ; il subsistera de même. — Mais je porterai une couronne d’or ! — Si tu as envie d’une couronne, prends-en une de roses, et mets-la sur ta tête : elle sera, certes, plus gracieuse à voir. »