XX
Comment la raison se contemple elle-même . — Comment nous devrions examiner nos représentations. — La cécité du corps et celle de l’intelligence.
Le premier et le plus important devoir du philosophe est d’examiner ses représentations, de les juger, et de n’adhérer à aucune qu’après examen. Voyez comme nous avons su trouver un art pour la monnaie qui semble nous intéresser si fort, et de combien de moyens se sert l’essayeur d’argent pour la vérifier. Il se sert de la vue, du toucher, de l’odorat, et finalement de l’ouïe. Il frappe sur une pièce, écoute le son, et ne se contente pas de la faire sonner une fois ; c’est à force de s’y reprendre que son oreille arrive à juger. C’est ainsi que, lorsque nous croyons qu’il est pour nous de grande conséquence de nous tromper ou de ne pas nous tromper, nous apportons la plus grande attention à l’examen des choses qui peuvent nous tromper. Mais, bâillant et endormis pour tout ce qui regarde noire faculté maîtresse, nous acceptons au hasard toutes les représentations, parce qu’ici nous ne sentons pas nos pertes.
Lorsque tu voudras connaître tout ton relâchement à l’endroit du bien et du mal, et toute ton ardeur pour les choses indifférentes, compare ce que tu penses de la cécité et ce que tu penses de l’erreur ; tu connaîtras alors combien tu es loin d’avoir pour le bien et pour le mal les sentiments que tu dois avoir. — Mais il y faudrait une longue préparation, beaucoup de travail et d’études ! — Quoi donc ! espères-tu acheter au prix de peu d’efforts la plus grande de toutes les sciences ? Quoique, après tout, ce que les philosophes nous enseignent de fondamental ne soit pas bien long. Si tu veux t’en assurer, lis les écrits de Zénon, et tu verras. Qu’y a-t-il de si long à dire que la fin de l’homme est de suivre les dieux ? que le véritable bien est le bon usage des représentations ?