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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

conduit un homme qui a étudié. — « Dépose le laticlave ; « prends des haillons, et montre-toi dans ce rôle de pauvre. » — Eh bien ! ne m’est-il pas possible d’y porter un beau débit ?

Dans quel rôle te présentes-tu donc maintenant ? Comme un témoin appelé par Dieu même : « Viens, t’a-t-il dit, et dépose en ma faveur. Car tu es digne que je te présente en témoignage. De tout ce qui est en dehors de ton libre arbitre, est-il quelque chose qui soit un bien ou un mal ? Est-il quelqu’un à qui je nuise ? Ce qui est utile à chacun l’ai-je mis aux mains d’un autre ou en ses mains à lui ? » Mais toi, quel témoignage rends-tu à Dieu ? « Je suis dans une position critique, maître ; je suis dans le malheur. Personne ne s’intéresse à moi ; personne ne me donne ; tout le monde me blâme ; tout le monde m’injurie. » Est-ce donc ainsi que tu dois déposer ? Et dois-tu déshonorer celui qui t’a appelé, parce qu’il t’a assez estimé pour cela, et qu’il t’a cru digne d’être ainsi présenté par lui comme témoin ?

— Mais celui qui est au pouvoir m’a dit : « Je te déclare impie et criminel ! » — Que t’est-il donc arrivé ? — J’ai été déclaré impie et criminel. — Pas autre chose ? — Non. — Est-ce donc que cet individu, qui a le pouvoir de prononcer sur toi, sait ce que c’est que la piété ou l’impiété ? Est-ce qu’il y a jamais réfléchi ? Un musicien s’inquiéterait fort peu que cet individu déclarât que la note la plus basse est la plus haute ; un géomètre, qu’il prononçât que toutes les lignes menées de la circonférence au centre ne sont pas égales ; et l’homme vraiment instruit s’occupera des jugements d’un ignorant sur ce qui est honnête et sur ce qui ne l’est pas, sur ce qui est juste et sur ce qui est injuste ! Quel tort pour des gens instruits ! Est-ce là ce que tu as appris ici ?

Tous les beaux raisonnements sur ce sujet, ne veux-tu pas les laisser à d’autres, à ces diminutifs d’hommes qui ne savent pas ce que c’est que de souffrir, pour qu’ils restent assis dans leur coin à recevoir leur salaire, ou à grogner de ce qu’on ne leur donne rien ? Ne veux-tu pas venir devant nous appliquer ce que tu as appris ? Ce ne sont pas les beaux raisonnements qui nous manquent aujourd’hui ! Les livres des stoïciens sont pleins de beaux rai-