Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
XXII
ÉTUDE

s’éloignent, les pleurer s’ils meurent. En effet, cette raison même que nous aimons à la fois en eux et en nous, nous commande d’être toujours libres, par conséquent d’être heureux, et, quoi qu’il arrive, d’être sans peine et sans trouble. Comment donc la maladie, la mort, que nous ne considérons pas comme des maux lorsqu’elles nous frappent, pourraient-elles devenir pour nous des maux lorsqu’elles frappent autrui ? Ce serait irrationnel. Il ne faut pas que, placés nous-mêmes hors de toute atteinte, nous puissions être atteints et frappés en autrui. Le stoïcien, qui regarde de haut toutes les choses extérieures, ne demande pour les autres comme pour lui que la liberté, bien suprême qu’il suffit de vouloir pour l’obtenir, et d’obtenir pour le garder à jamais. — « Quel cœur dur que ce vieillard ! dites-vous. Il m’a laissé partir sans pleurer, sans me dire : A quels périls tu vas t’exposer, ô mon fils ! Si tu y échappes, j’allumerai mes flambeaux. — Comme ce serait là, en effet, le langage d’un cœur aimant ! Ce serait un si grand bien pour toi d’échapper au péril ! Voilà qui vaudrait tant la peine d’allumer ses flambeaux[1] ! »

  1. Dissertations, II, xvii. (Tr. Courdaveaux, p. 179). — M. A.-P. Thurot, dans sa traduction des Entretiens, ne semble pas avoir saisi l’ironie de ce passage.