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XLIV
ÉTUDE

tiens-toi (ἀνέχου καὶ ἀπέχου)[1]. Le stoïcien se dérobe à l’action des choses plus qu’il n’agit lui-même, comme l’anneau d’une chaîne qui se croirait moralement libre parce qu’il s’est détaché des autres.

Être à l’écart, sans trouble et dans la paix, tel est donc le vœu qu’émettent les stoïciens, et que répètent avec eux la plupart des sectes antiques, en dissension sur tous les autres points, d’accord sur celui-là. Les stoïciens empruntent toujours aux choses matérielles leur représentation de la liberté et de l’ataraxie. Épictète se figure l’âme du sage comme une onde pure et tranquille que nul souffle ne viendrait troubler[2] : image sensible, φαντασία, comme disaient les stoïciens mêmes, impuissante à nous faire pénétrer le vrai caractère de notre énergie intime[3].

Par cela même que la liberté stoïcienne était conçue sur le modèle des choses extérieures, comment eût-elle pu vraiment les dépasser ? Il ne faut pas seulement se modeler sur l’adversaire qu’on

  1. Gell., Noct. Att., xvii, 19.
  2. Stob, Flor., I, 47. — V. les Entretiens.
  3. Les anciens étaient toujours tentés de se représenter l’âme sous la forme d’une chose passive plutôt que comme une volonté active : de même qu’ils voulaient au dedans la rasseoir et l’apaiser, ils voulaient au dehors la « polir, » l’ « arrondir » en quelque sorte : le sage, suivant la com-