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MANUEL D’ÉPICTÈTE

XIV

on peut devenir indépendant de tout homme en devenant maître de ses désirs sur toutes choses.


I. Si tu veux que tes enfants et ta femme et tes amis vivent toujours, tu es fou ; car tu veux que les choses qui ne dépendent pas de toi en dépendent, et que celles qui te sont étrangères soient tiennes. De même, si tu veux que ton esclave ne fasse pas de faute, tu es un sot : car tu veux que le vice ne soit pas le vice, mais autre chose[1]. Au contraire, si tu veux ne pas être frustré dans tes désirs, tu le peux[2]. Applique-toi donc à ce que tu peux.

II. Celui-là est toujours maître d’un autre homme, qui a le pouvoir de lui procurer ce qui lui plaît, de lui ôter ce qui lui déplaît. Tu veux être libre : ne désire ou ne fuis rien de ce qui dépend d’autrui ; sinon tu seras nécessairement esclave[3].


    s’appliquer non à paraître homme de bien, mais à l’être » (Gorgias, 82 ; Mémorables, I, vii, 1 ; II, vi, 39). — Eschyle avait dit aussi du devin Amphiaraüs : οὐ γὰρ δοκεῖν ἄριστος, ἀλλ’εἶναι θέλει (Sept, ad Theb., 578). On sait comment les Athéniens, au théâtre même, firent l’application de ces vers à Aristide.

    Comparer un beau passage de Sénèque (epist. 81) ; Si gratum esse non licebit, nisi ut videar ingratus ; si reddere beneficium non aliter quam per speciem injuriæ potero, æquissimo animo ad honestum consilium, per mediam infamiam, tendam. Nemo mihi videtur pluris æstimare virtutem, nemo illi esse magis devotus, quam qui boni viri famam perdidit, ne conscientiam perderet. — Voir les Éclaircissements.

  1. On ne peut sans doute vouloir que le vice ne soit pas le vice, mais on peut vouloir que le vice ne soit pas.
  2. En ne désirant que ce qui dépend de toi.
  3. Sénèque (epist. 87) : Nunquam major est animus quam ubi aliena seposuit ; et fecit sibi pacem nihil timendo : fecit sibi divitias nihil concupiscendo. — « Quel est l’homme riche, » demandait-on à Épictète. « Celui qui est satisfait dans ses désirs, » répondit-il.