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Page:Manuel d’Épictète, trad. Joly, 1915.djvu/43

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XVI.

Si tu vois un homme dans le chagrin, pleurant soit la mort de son fils, soit la perte de sa fortune, prends garde d’être la dupe de ton imagination et d’attribuer le malheur de cet homme à des événements extérieurs. Dis-toi bien vite : « Ce qui le trouble, ce n’est pas la chose en elle-même : car un autre n’en serait pas troublé ; mais bien l’opinion qu’il a sur elle. » Ne crains pas cependant d’accommoder tes discours à sa douleur, et même, s’il le faut, de gémir avec lui ; mais ne gémis qu’en paroles, et que ton âme ne partage point sa douleur1.

XVII.

Souviens-toi que tu es comme un acteur, jouant le personnage qu’il a plu au maître de te donner. S’il te l’a donné court, joue-le court ; s’il te l’a donné long, joue-le long. S’il veut que tu joues le rôle d’un gueux, joue-le avec naturel, Que ce soit un rôle de boiteux, de magistrat, ou de simple particulier, fais de même : car c’est à toi de bien tenir le rôle qui t’est confié, et c’est à un autre de te le choisir.

XVIII.

Un corbeau a fait un croassement de mauvais augure : que ton imagination ne te trouble pas. Fais en toi-même un juste discernement des choses, et dis-toi : « Ceci ne peut rien présager pour moi-même, mais seulement pour ce misérable corps, ou pour mon bien, ou pour ma réputation, ou pour mes enfants, ou pour ma femme. Quant à moi, tout


donner l’exemple d’un détachement aussi complet que celui du stoïcien : « Jésus, voyant que Marie pleurait, et que les Juifs qui étaient venus avec elle pleuraient aussi, frémit en son esprit et se troubla lui-même. Et il leur dit : Où l’avez-vous mis ? Ils lui répondirent : Seigneur, venez et voyez. Alors Jésus pleura. Et les Juifs dirent entre eux : Voyez comme il l’aimait. » (S. JEAN, XI.)