Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sir à chaque nouveauté. Un mot : « Schön ! » revenait dans ses discours à propos de tout. Il le criait d’abord grassement ; puis, sentant le regard dur de Hans peser sur lui, il baissait graduellement la voix ; et le « schön » finissait par sourdre en sourdine, tel un murmure d’abeille bourdonnant sur les lèvres épaisses d’Hermann Fischer. L’admiration universelle de Fischer exaspérait les phobies de Schwartzmann.

Après le dîner, Hermann continua d’accaparer le modiste qui, décidément, lui plaisait. Le grand-père s’isola dans un coin du salon, en attendant stoïquement l’heure du départ ; et René s’efforça d’engager une conversation malaisée avec Caroline. Jacqueline, qui se trouvait derrière la jeune Allemande, remarqua l’abondance du chignon blond noué sur la nuque charnue. Elle dit à Schwarzmann : Mlle Fischer a des cheveux superbes : ils doivent avoir l’air d’une belle gerbe d’épis lorsqu’ils flottent sur ses épaules… Si j’avais une chevelure pareille, moi, je m’en couperais au moins la moitié !

— Et pourquoi ? interrogea l’écrivain, stupéfait.

— Pour pouvoir me coiffer avec l’autre, tiens !…

Hans regarda la jeune fille d’un air intéressé. Il médita sur sa réponse : ainsi, le raffinement de cette coquetterie allait jusqu’au sacrifice d’une beauté naturelle, si cette beauté nuit à la grâce de la parure… En effet, les femmes qui jouissent d’une toison luxuriante sont rarement bien coiffées.

Jacqueline, changeant déjà de sujet, reprenait :

— N’est-ce pas que mon frère a du talent. Vous avez vu ses œuvres ?

— Oui, approuva Hans. J’ai admiré sa facture solide et l’originalité de son inspiration… L’originalité est une denrée précieuse, et rare… Je ne m’étonne plus que René ait des envieux.

— Ses amis, principalement.

Schwartzmann répliqua, sur un ton acerbe :

— C’est toujours sous les traits de l’amitié que la jalousie frappe à notre porte.

Jacqueline murmura :

— Mme de Genlis a dit : « Les qualités de l’esprit font des jaloux, celles du cœur ne font que des amis. » Cette bonne dame nous incite à la vanité : car, si nous jugeons de nous-mêmes d’après le nombre de nos amis ou celui de nos envieux, nous devons conclure que nous avons beaucoup plus d’esprit que de cœur.

— Vous ne vous trompez pas en ce qui concerne l’esprit.

Schwartzmann considérait Jacqueline avec une surprise flatteuse : cette poupée spirituelle l’étonnait ; il est si rare qu’une femme charme à la fois nos yeux et nos oreilles.

Il dit brusquement, baissant la voix :

— Je vous remercie de m’avoir accueilli si bienveillamment, malgré certaines préventions que j’ai devinées en vous, dès le premier jour… Oh ! ne faites pas signe que non, Mademoiselle… Votre conquête me sera deux fois précieuse, de n’avoir pas été absolument spontanée. Vous ne nous aimez pas, je l’ai parfaitement senti. Suivez le Rhin sur une carte géographique : c’est une ligne noire qui serpente au milieu d’un morceau de papier… cela donne-t-il une idée des paysages splendides qui se déroulent le long du fleuve ?

Eh bien ! vous avez voulu juger les Allemands à travers les livres, et le résultat est aussi dérisoire. N’importe, je vous suis profondément reconnaissant de m’avoir souri avant d’appren-