Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/30

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dre à me connaître : vous m’avez ouvert un crédit d’amitié et c’est pour moi une grande douceur.

Jacqueline — un peu déconcertée par la sensibilité qui émanait de cet être puissant, qui prononçait des mots émus avec un visage impassible — contempla longuement l’écrivain. Elle avait devant elle cet illustre Schwartzmann dont le nom était la jeune gloire de l’Allemagne, dont les œuvres étaient commentées par des milliers d’admirateurs ; et cet homme, qui lui apparaissait dans la forte jeunesse de sa quarantaine robuste, s’ingéniait visiblement à gagner ses bonnes grâces. Comment ne point subir la griserie du prestige, lorsqu’elle plongeait ses yeux dans les yeux impénétrables et caressants de Hans ? En scrutant ce regard pâle à la lueur troublante et trouble, Jacqueline avait l’impression de se pencher au-dessus d’une eau glauque pour en sonder l’insondable transparence…

— Ma fille se fera un plaisir de vous montrer Paris, disait à cet instant le modiste en s’adressant à Caroline. À côté des monuments, des adresses mentionnées sur le guide, elle vous aidera à découvrir le vrai Paris, tous les coins charmants, les jolies choses que nous goûtons en artistes ; et nos divertissements préférés… Vous connaîtrez, Mademoiselle, la ville réelle qui se cache derrière notre bazar cosmopolite, la ville ignorée des étrangers… Tu t’en charges, n’est-ce pas, Jacqueline ? Cela te distraira, ma chère petite, d’accompagner ton frère et ses amis.

— Certes ! répliqua vivement Jacqueline.

Les Allemands se levaient, prenant congé avec plus de laisser-aller, mis à l’aise par la cordialité ambiante. Le gros rire d’Hermann sonna sans retenue, emplissant l’antichambre de ses sonorités. Jacqueline et René s’échauffaient, élevaient le ton, pour crier bonsoir, gagnés à la contagion de cette gaîté bruyante où s’épanouissait le joyeux Fischer.

Michel Bertin se sentit soudain oppressé d’une tristesse lourde et nostalgique : au contact de ces étrangers dont le geste et l’accent dépaysaient ses sens, il éprouvait comme une illusion d’exil.

Et le grand-père regarda partir Schwartzmann, en philosophant amèrement sur cet instinct tout-puissant qui pousse le commun des mortels à se frotter aux gens célèbres, à s’atteler au char de l’idole, à se faire les satellites de l’étoile et à saluer la gloire qui passe — sans que l’on sache au juste si l’hommage est rendu au talent, ou s’il s’adresse uniquement aux paillons de la renommée.




VI


Dès que la présence de Schwartzmann à Paris fut connue, les visites affluèrent à l’Hôtel Continental. De riches compatriotes l’invitèrent, il fut convié à un dîner à l’ambassade d’Allemagne, et un directeur de théâtre parisien, qui avait en répétition l’adaptation d’une œuvre de Hans, entraîna l’écrivain dans les milieux artistiques afin de promener son auteur étranger comme une réclame vivante de la pièce qu’il allait représenter.

Schwartzmann se laissait conduire, avec sa passivité complaisante de colosse imperturbable. Néanmoins, il se réservait toujours un moment dans la journée afin de gratifier les Bertin d’une visite quotidienne. Avec une invariable fidélité, Hans se présentait boulevard Haussmann, à moins qu’il n’allât surprendre