Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/37

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Schwartzmann poussa un cri d’admiration :

— Quelle audace !… Et quel courage !

Il corrigea d’ailleurs son exclamation, en observant froidement :

— Ce qui fait la réputation des Français, ce n’est pas la supériorité de leurs appareils — les nôtres leur sont comparables — mais c’est la témérité folle de ces hommes qui jouent avec la mort, comme avec un cerf-volant… Et qu’est-ce que la bravoure individuelle, à notre siècle : un arbre de luxe qui porte peu de fruits !

— Pensez-vous qu’il l’obtiendra ? murmurait Jacqueline.

— Quoi ?… Le record ?

— Mais non… La commande de l’Arpète, voyons !

Hans lui lança un regard de surprise, interdit qu’elle ne s’occupât point des évolutions du pilote.

— Où peuvent être mon père et vos amis ? poursuivit la jeune fille.

Ses yeux se promenaient sur le public, quêtant un visage familier parmi ces têtes toutes levées, la bouche ouverte, les paupières écarquillées ; ces occiputs rejetés en arrière qui semblaient appeler le torticolis. Tout à coup, Jacqueline s’écria :

— René !… Voici René !

Elle venait d’apercevoir le jeune homme qui les avait reconnus de loin, grâce à la haute stature de Hans Schwartzmann ; et s’efforçait de les rejoindre, fendant la foule compacte.

Sitôt qu’il fut rapproché de sa sœur, René annonça triomphalement :

— Ça y est !… J’ai enlevé ma commande… L’Arpète sera exécuté en bas relief sur le sarcophage…

Jacqueline lui sauta au cou. Puis, les questions et les réponses se succédèrent sans aucune suite. René narrait son entrevue avec une volubilité fébrile, le visage resplendissant de la joie du premier succès. Il était galvanisé par cette excitation enthousiaste qui embaume durant un jour l’illusion de nos débuts ; et qui se volatilise dès le lendemain, tel un parfum évaporé.

— Quand commences-tu ton travail ? questionna Jacqueline.

— Le mois prochain, répondit René. Et Mme Lafaille m’offre un séjour en Riviera… Car, c’est à Nice — la ville où Lafaille est né — que seront transportées ses cendres… Le mausolée sera édifié au cimetière de l’ancien château… Mme Lafaille forme des projets somptueux ; elle fera venir le marbre d’Italie et songe déjà à conférer avec ses horticulteurs du jardin de fleurs rares qui entourera la chapelle.

— Je vous adresse mes sincères félicitations, dit Hans Schwartzmann.

— N’est-ce pas : c’est une vraie victoire ! cria René.

— Oh ! oui… Hein ! fit quelqu’un, près du jeune homme.

Le sculpteur dévisagea d’un air ahuri cet inconnu qui s’associait inopinément à sa joie. Mais l’autre continuait :

— Il a bouclé la boucle, comme Pégoud !

Et René comprit sa méprise. Alors, il éprouva le même sentiment que sa sœur : le bonheur égoïste de la première chance lui inspira le besoin de s’isoler, de ressasser l’heureuse nouvelle à l’abri de cette réjouissance populaire qui acclamait le dieu Progrès. Il proposa :

— Si nous nous en allions ?… Mon père serait introuvable, dans cette marée humaine. J’ai déjà eu la bonne fortune de vous apercevoir : et vous n’êtes qu’à l’entrée de l’aérodrome.

Hans et Jacqueline acceptèrent. Ils n’avaient que dix mètres à franchir pour