Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/38

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rejoindre leur automobile ; mais la route était tellement encombrée que l’entreprise s’annonçait difficile.

Schwartzmann passa le premier, écartant avec une douceur ferme ceux qui stationnaient devant lui ; et les badauds se rangeaient prudemment à l’aspect de ce colosse imposant. Soudain, Hans fut arrêté par une famille de bicyclistes — le père portant un gosse sur ses épaules, la mère corpulente et cocasse dans sa petite culotte rebondie ; et trois garçonnets décidés qui encombraient le chemin avec leurs bécanes. — Schwartzmann tenta de séparer ce groupe ; on lui opposa les guidons et les pneus, en guise de boucliers. Agacé, Hans ordonna :

— Rangez-vous !

Et bouscula un peu vivement l’un des gamins, qui se laissa tomber par terre en poussant des hurlements :

— Papa !… Il m’a renversé !

— Vous êtes un petit menteur ! cria Hans Schwartzmann.

Dans sa colère, il avait négligé sa prononciation. Son accent le trahit. Il y eut des murmures :

— C’est un Alboche !

Ça se croit tout permis parce que ça porte de la fourrure à sa pelisse !

L’assistance révélait qu’elle était composée de patriotes et de démocrates.

— Il a brutalisé mon enfant !

— Sale Prussien, va !

— Il ne sera pas si fier quand nos aéroplanes iront jeter des bombes sur Berlin.

Impassible et dédaigneux, Hans s’efforçait d’avancer. Il vit avec plaisir Jacqueline se glisser agilement parmi la foule et grimper dans l’auto. Au moment où il parvenait enfin à se dégager, un caillou lancé on ne sut d’où vint s’écraser contre son chapeau avec un bruit mat.

— Gare, Schwartzmann ! s’exclama René.

Exaspéré, le jeune Bertin se hasarda à esquisser quelques coups de canne à droite et à gauche pour protéger son ami. Avec ce public du dimanche, le geste était dangereux. Aussitôt, ils furent menacés par des cyclistes à tête de souteneur, des voyous en chandail et des calicots anémiques qui s’amusaient infiniment. L’altercation dégénérait en bagarre. Des horions furent échangés.

Hans et René profitèrent du désordre de la bousculade pour s’élancer à l’intérieur de l’auto. La voiture démarra, tandis que la foule se massait afin de lui barrer le passage ; mais le chauffeur, qui avait prévu le coup, vira brusquement et fila sur la route de Châteaufort, poursuivi par des huées.

— Je ne vous fais pas de compliments sur la façon dont vos services d’ordre sont organisés.

Ce fut la première phrase que prononça Schwartzmann dès qu’ils furent à l’abri : l’Allemand s’étonnait en constatant combien les Parisiens semblent peu redouter la police.

Puis, ils s’examinèrent. Hans était indemne ; mais René portait à la joue gauche une estafilade qui saignait lentement.

— Oh ! Tu es blessé, gémissait Jacqueline.

Elle l’essuyait avec son mouchoir. Hans voulut l’aider : et leurs doigts se rencontrèrent, à l’instant où ils frôlaient la figure de René, — comme pour symboliser l’union de leur triple amitié.

L’auto reprenait la direction de Paris, après avoir exécuté un vaste crochet.

Chacun savourait en silence la douceur de cette rentrée au crépuscule. On traversait Ville-d’Avray et Saint-