Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/40

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divertissements possibles… Je ne vois guère ce que je pourrais vous offrir de neuf. À moins que… Mais cela vous paraîtrait sans doute fade.

— Quoi ? interrogea Fischer, intrigué.

— Voici : par une coïncidence singulière, mes camarades Paul et Maurice avaient prémédité, justement pour ce soir même, une partie joyeuse en l’honneur de mon succès. Si vous voulez venir avec nous, vous verrez de quelle manière nous aimons à faire la fête.

— C’est cela exactement que nous désirons ! s’exclama Fischer, épanoui.

— Eh bien ! En avant.

Suivi de ces compagnons, René sortit ; il héla un taxi et donna au chauffeur l’adresse du Théâtre-Royal.

Le spectacle représenté ce soir-là se composait d’une comédie de mœurs et d’un acte en vers écrits, dans l’intention d’amener le plus de monde possible, par deux auteurs habiles qui avaient respecté dame Pudeur en vue de leur clientèle bourgeoise. Au début, Hermann fut déçu, mais comme Luce jouait l’un des rôles de la grande pièce, il se rasséréna en lorgnant la belle actrice qui l’avait tant impressionné. Au second entr’acte, René s’éclipsa, après avoir adressé un sourire de connivence à Paul Dupuis.

Hermann supposa que le sculpteur avait dû se rendre dans la loge de son amie. Il questionna :

— Il est allé dans les coulisses ? Pourquoi seul ?… J’aimerais aller avec lui.

L’architecte répliqua, d’un air imperturbable :

— Ah ! ça, Monsieur, d’où sortez-vous donc ?… Ignorez-vous que la Société Protectrice des Bonnes Mœurs a obtenu de la Préfecture de police un arrêté interdisant l’accès des loges et des coulisses de théâtres, cafés-concerts ou music-hall à toute personne ne pouvant certifier, à l’aide d’une pièce d’identité, sa parenté avec un acteur, un machiniste, un souffleur, le régisseur — voire le pompier de service — ou tout autre individu appartenant au personnel de l’établissement.

Hermann avait écouté cette tirade, les traits tendus d’attention, il se la traduisait intérieurement. Hans remarqua doucement — sans que l’on sût s’il était ironique ou crédule :

— Voilà des pièces d’identité que les vieux messieurs doivent payer un bon prix.

— Et les pénalités encourues, Monsieur ? rétorqua Paul Dupuis. Il y a des juges à Paris !

René rentrait à cet instant dans leur baignoire. Il avertit ses invités :

— Après la représentation, Mlle Luce Février et deux de ses camarades se joindront à nous.

Fischer accueillit la nouvelle avec une vive satisfaction, mais Schwartzmann commença de se méfier : si cette jeune fille à qui René marquait tant d’estime devait les accompagner, la fête risquait de n’être guère licencieuse, et l’écrivain flairait quelque plaisanterie dont Hermann serait la dupe.

Luce ne jouait pas dans le dernier acte. Les jeunes gens la retrouvèrent à la sortie, avec les deux amies annoncées par René : une brune et une blonde habillée de la même manière, à peu près de la même taille et paraissant du même âge ; deux échantillons de cette espèce de jolie fille de vingt-deux ans, au petit nez, à la petite bouche, aux grands yeux ; au corps menu vêtu à la dernière mode des confections ; au grand manteau de fausse loutre et au minuscule bonnet de vrai lapin ; bref, cette créature impersonnelle et aguichante qui circule sur les boulevards à plusieurs milliers