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IX


Ce jour-là, Jacqueline et Hans avaient passé leur après-midi dans un concert symphonique.

Schwartzmann adorait la musique. Il l’aimait scientifiquement, en érudit. Cet homme — qui ne jouait d’aucun instrument, qui ne composait point et qui n’avait jamais écrit la critique d’une œuvre lyrique quelconque — avait étudié l’art musical patiemment, copieusement, avec la conscience d’un professionnel, bien que son savoir ne lui rapportât nul profit. Il obéissait à son penchant d’approfondir sans but, pour le plaisir.

Lorsqu’ils sortirent du concert, Schwartzmann passa son bras sous celui de Jacqueline avec la familiarité insouciante d’un voyageur en pays inconnu. La jeune fille, un peu gênée, guignait en dessous les passants qui les croisaient sous les arcades de la rue de Rivoli : tout en craignant d’être rencontrée, elle s’enorgueillissait pourtant d’être vue avec Hans Schwartzmann.

— Voulez-vous prendre le thé à mon hôtel ? proposa tout à coup l’écrivain.

Ils entrèrent au Continental et s’installèrent dans la salle ornée de plantes.

Jacqueline regarda ses voisins, tandis que Hans appelait un garçon : à côté d’elle, à sa droite, une nurse vêtue de gris faisait goûter une ribambelle de petits Anglais blonds et roses. À sa gauche, un individu brun comme un cigare, aux longues paupières de Levantin, entretenait avec animation un homme commun, rougeaud, cossu, au type de commerçant ; — et répétait constamment, d’une voix câline, roucoulant les r :

— Réfléchissez… C’est oune affaire splendide !

Jacqueline eut l’avant-goût de ce que seraient ses impressions de jeune mariée en voyage de noces : un jour, si elle épousait Hans, elle traverserait ainsi divers hôtels cosmopolites, isolée au milieu de ces étrangers, avec la seule compagnie d’un autre étranger qui serait son mari. Elle prit le vague malaise qui l’envahit, à cette pensée, pour une espèce de mélancolie amoureuse. Elle murmura intérieurement : « Jacqueline Schwartzmann… Madame Hans Schwartzmann… » et fut baignée de fierté en songeant à la notoriété de ce nom. Hans lui souriait, assis vis-à-vis d’elle ; sa figure large, au grand front, au regard pénétrant, avait une expression de profonde intelligence.

Jacqueline dit brusquement :

— Je voudrais vous demander quelque chose… mais je n’ose pas : j’ai peur de vous sembler puérile…

— Pourquoi ?… Expliquez-vous.

— Voici… Je serais heureuse d’avoir quelques mots écrits de votre main sur votre dernier livre, que je commençais précisément le soir de votre arrivée : La Gloire… Ce serait pour moi un souvenir tout particulièrement précieux.

Schwartzmann parut touché ; mais il ne saisit pas la délicatesse de l’idée de Jacqueline et ne comprit point que c’était au bouquin lu et relu qu’elle s’était attachée ; car il répondit, croyant lui être plus agréable :

— Je ferai mieux. J’ai là-haut quelques exemplaires de La Gloire, sur papier de luxe, qu’on m’a envoyés de Leipzig… Je vous en offrirai un ; et sur celui-là, j’écrirai la dédicace… Venez.

Il se levait, se dirigeait vers l’ascenseur. Jacqueline s’étonna in petto qu’il lui enjoignît si naturellement de l’accompagner dans son appartement : l’âme étrangère la heurtait une fois