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Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/50

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ment, avec une netteté qui prouvait qu’il venait de peser tous les partis :

— Pourquoi ?… Nous ne faisons rien de répréhensible, ici ; alors, à quel propos vous dérober ?… René ne soupçonne pas ses amis, j’imagine… Tandis qu’il peut savoir déjà qu’une dame est chez moi : les garçons nous ont vus. Je l’aurais bien reçu en bas, mais il a insisté pour monter. Dans ce cas, si vous avez l’air de vous sauver, c’est là que votre fuite permet les suppositions fâcheuses, pour peu qu’il vous rencontre dans un couloir ou vous reconnaisse de l’ascenseur. — René entrait.

Le jeune homme s’immobilisa, cloué de surprise à l’aspect de Jacqueline. Puis, la première impression dissipée, René fut plutôt soulagé de la tournure que prenaient les événements : il ne doutait pas une minute de la conduite irréprochable de Schwartzmann ; l’écrivain était de mœurs rigides, il n’avait jamais eu la réputation d’un Lovelace. La présence de Jacqueline dans la chambre de ce célibataire n’offusquait donc point René outre mesure ; et elle lui fournissait une entrée en matière pour l’entretien difficile où il se proposait de vérifier les insinuations de Luce.

S’adressant à sa sœur, le jeune homme observa d’un air de reproche :

— Jacqueline, tu es vraiment inconséquente… Tu ne songeais pas, en accompagnant notre ami chez lui, que vingt personnes pouvaient t’apercevoir et interpréter cela… Père te gronderait, s’il savait…

Hans comprit que la remontrance fraternelle le visait d’une façon détournée. Il intervint délibérément :

— Mon cher, c’est moi qui ai prié Mlle Jacqueline de venir avec moi. J’avais quelque chose à prendre dans mon appartement. Il m’a semblé aussi convenable de garder votre sœur sous ma protection que de la laisser dans un hall d’hôtel, parmi des rastaquouères…

René déclara, enchanté du tour de la conversation :

— Mon cher Hans, on ne discute pas les absurdités : on les subit ; or, la plupart des convenances reposent sur des bases absurdes. Vos raisons sont très plausibles : mais nos usages vous donnent tort… La même morale est appliquée d’une façon en deçà des Pyrénées, et d’une autre, en delà… Et l’on supprime plus facilement les Pyrénées que les préjugés. La rue de la Paix est à côté : vous pouviez ramener ma sœur au magasin, avant de remonter chez vous.

Il ajouta, avec une nuance d’embarras : Je me comporte en frère prévoyant lorsque je rappelle à Jacqueline nos coutumes plus ou moins logiques… Car, je vous assure que les imprudences auxquelles ma sœur — forcément négligée par notre père — s’est risquée, feraient supposer, à n’importe qui, que vous êtes… son amoureux ?

À dessein. René avait terminé sa phrase sur un ton presque interrogatif.

Instinctivement, Jacqueline jeta les yeux sur Hans : leurs regards se croisèrent, se fixèrent intensément ; puis, l’écrivain baissa lentement ses paupières et murmura d’une voix sourde :

— Il est exact que j’aime votre sœur.

L’émotion de René éclata à la manière d’un feu d’artifice mal réglé dont toutes les pièces partent en même temps : ce fut un mélange de sentiments désordonnés ; surprise, orgueil, saisissement, qui le terrassaient par leur brusquerie et l’empêchaient de réfléchir.

Il balbutia :

— Je suis profondément heureux… à cette nouvelle imprévue… qui va cimenter notre amitié…