Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/57

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à chaque événement de leur vie présente, ils en évoquaient la réminiscence puérile : pour calmer la détresse amoureuse de sa sœur, René avait le même geste que jadis, quand il prenait dans ses bras l’écolière punie qui sanglotait sur son épaule. Les souvenirs de la gamine en jupe courte et du bambin aux mollets nus attendrissaient leur cœur. Ils s’aimaient avec dévouement, liés indestructiblement par cette chaîne aux anneaux multiples que forge une amitié d’enfance.

Et René se sentit tout endolori de la déception de sa sœur, au moment même où Jacqueline lui disait :

— Écris-moi souvent, lorsque tu seras à Nice. Et puis, raconte-moi bien tout ce qui concernera Luce… Tu comprends, pour moi, ton bonheur, c’est un gâteau : si tu me décris le goût qu’il a, il me semblera que j’en mange la moitié.




II


Luce et René suivaient la promenade des Anglais.

Nice s’étalait, morne et splendide, dans sa torpeur des fins d’été. La mer, immobile et nue, sans une vague, sans une voile, avait l’apparence d’une grande plaine d’herbe bleue. Une petite vapeur rose flottait à l’est, au-dessus des montagnes grisâtres. L’air était chargé de parfums brûlants. Et la cité endormie, avec ses hôtels fermés, ses villas closes, ses avenues désertes, semblait accueillir les deux jeunes gens à la manière d’une ville enchantée où leur amour allait découvrir quelque sortilège, tapi en cette solitude.

Luce avait pris le prétexte d’un engagement problématique à Marseille pour se réserver une semaine de liberté. Elle avait suivi René avec cette hardiesse tranquille et chaste qui singularisait leur liaison. Et le jeune homme, en regardant son amie s’avancer à ses côtés — si tentante, sous ce soleil implacable de la Riviera qui souligne les tares des vieux visages, mais illumine de son rayonnement la fraîcheur des chairs éclatantes — le jeune homme enviait mélancoliquement sa compagne, qui pouvait jouir de l’heure présente sans arrière-pensée et savourer son bonheur incomplet sans autre désir.

René s’étonnait, se sentant aimé, que Luce supportât si patiemment ces fiançailles prolongées.

Ce que la femme délicate goûte le plus dans l’amour, ce sont les prémices de l’aventure, les tendresses du tête-à-tête, la présence de l’être chéri ; les caresses puérilement lascives qui précèdent le geste inévitable auquel, neuf fois sur dix, elle se soumet par nécessité.

Les amants s’en vont deux par deux au bois sacré où règne Éros. Mais tandis que l’homme presse le pas, celle qu’il entraîne se fait traîner : les sentiers sont fleuris ; les fruits des mûriers tentent sa main tendue… Elle murmure avec un sourire : « À quoi bon écourter le chemin qui mène au temple ?… La route est belle et la prière sera brève ! »

Luce s’accouda à la balustrade qui borde la promenade.

Elle murmura : Quel pays !… Tout y paraît exagéré. La mer est trop bleue, le ciel est trop clair, la terre est trop rouge et le soleil trop rutilant… Le Seigneur a dû les mettre en couleurs le septième jour de la genèse : il avait travaillé toute la semaine ; il a bu un petit coup de trop, afin de se reposer, et il a barbouillé le Midi avec une abondance de peintre en goguette…

Après un silence, elle ajouta d’un air