Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/58

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sérieux : Ça m’ennuie d’être obligée de repartir dans huit jours en vous laissant ici… Il me semble que l’on soit oppressé d’y vivre seul : cette contrée est troublante ; elle possède une sorte de grâce malsaine avec ses plantes étranges, ses odeurs voluptueuses, sa chaleur perfide et son aspect factice : elle a l’air d’une ville maquillée, inquiétante comme une fille équivoque… Dites : vous reviendrez bientôt à Paris, René ?

— En doutez-vous ? Je vous répondrai exactement quand j’aurai vu ma cliente.

— Allez la voir tout de suite, René. J’aurai plus de plaisir à me promener avec vous lorsque je vous saurai débarrassé de cette visite.

René obéit à regret. Il eût aimé couler ce mol après-midi, en compagnie de son amie ; à s’alanguir tous deux sous la caresse de la brise, tiède comme une haleine.

Ils retournèrent du côté de la place Masséna, afin de chercher une voiture ; car, Mme Lafaille habitait boulevard Carnot, à Mont-Boron ; et René se souciait peu de gravir à pied cette colline ensoleillée dont la route serpentait là-haut, sous la réverbération d’une muraille torride.

Mais, devant la place Masséna, René força Luce de s’asseoir tout d’abord à la terrasse d’un glacier. C’étaient dix minutes de répit. Il soupira :

— C’est embêtant de se séparer… Si je vous emmenais avec moi ? Somme toute, Mme Lafaille vous connaît.

— Ce ne serait pas sérieux. Soyons corrects, en affaires !…

Luce souriait, en feignant un air grave. René la regarda amoureusement saisir les fruits de son tutti-frutti entre ses dents luisantes, avec ses mines un peu maniérées des actrices habituées à manger pour rire sur la scène.

Le garçon de café s’empressait. Il posa un petit banc sous les pieds de Luce et les journaux de Paris sous la main de René.

Le sculpteur déplia joyeusement le Figaro, éprouvant déjà le besoin nostalgique des nouvelles parisiennes.

Luce s’étira sur sa chaise en gémissant :

— Quelle sale température !… Je vais m’acheter une robe de toile.

Soudain René poussa une exclamation :

— Oh ! Ma pauvre Jacqueline !

Luce sursauta :

— Votre sœur ?… Que lui est-il arrivé ? Le journal parle d’elle ?

— Non… Rien… Je songeais à elle.

René semblait gêné. Il venait de lire, à la rubrique Déplacements et Villégiatures, trois lignes qui lui racontaient toute une histoire, en leur concision banale :

« Parmi les dernières arrivées à Paris. — Descendus au « Continental » : M. et Mme Hans Schwartzmann et M. Hermann Fischer, de Berlin. »

Au moment de tout révéler à Luce, il s’était arrêté — pris d’un scrupule : Luce soupçonnait le flirt de Hans et de Jacqueline, mais elle ignorait la suite. René pensa que sa sœur aurait honte qu’il apprît la trahison dont elle était victime à une autre femme, même bienveillante.

Ainsi, Hans avait épousé Caroline ; c’était la raison de son silence. Mais alors, pourquoi avait-il leurré Jacqueline ? À quel propos, l’empressement et l’attachement qu’il avait témoigné aux Bertin durant son séjour ?… René ne savait que supposer.

Il murmura tout bas : « Pourvu que cette information échappe aux yeux de Jacqueline… Hélas ! On reçoit justement le Figaro à la maison ! »

Il craignit que Luce ne devinât son angoisse. Et se levant, il se sentit beaucoup mieux disposé à faire sa visite.