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Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/59

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Il questionna :

— Comment allez-vous passer le temps pendant que je serai absent ?

Luce répondit :

— Je me promènerai ; je visiterai un peu la ville. Il y a du côté du quai du Midi des petites ruelles qui m’ont paru amusantes… Et puis, je tâcherai de m’égarer un peu, parce que c’est délicieux de se perdre dans un pays inconnu ; on a l’impression d’être encore plus en voyage.

Elle regarda René monter en voiture et continua de sourire tant qu’il fut en vue. Mais, dès qu’il eut disparu, Luce se trouva affreusement isolée au milieu de cette petite place où nul détail n’apportait à ses yeux le réconfort dont nous imprègne la contemplation des objets familiers. Cette sensation l’attristait de façon si aiguë, qu’elle éprouva une joie profonde en apercevant, sur un mur, l’affiche-réclame d’un cacao dont elle avait remarqué la vignette obsédante à Paris, s’étalant contre un échafaudage qui faisait face au Théâtre-Royal.

Luce retourna au bord de la mer. Elle avait chaud ; le paysage lui paraissait moins admirable, à présent qu’elle était toute seule. Elle s’orienta malaisément : « Mont-Boron, c’est cette côte, là-bas, au-delà du château… René doit arriver maintenant à la hauteur de ces grandes arcades blanches… Dieu ! que cette lumière me fait mal aux yeux !… Où trouver de l’ombre ?…

Elle suivit le quai du Midi jusqu’à la place Charles-Félix. Elle revit les petites rues du Vieux-Nice, qui l’avaient tentée, le matin ; mais, soudain ces boyaux tortueux qui s’enfonçaient elle ne savait où ; ces Italiennes, à tête de sorcières, accroupies devant leurs portes, l’effrayèrent : Luce eut peur, naïvement, comme une gosse abandonnée ; et, faisant volte-face, elle remonta le cours Saleya.

Elle avançait machinalement, ne regardant plus le décor ; blasée sur ces effets de lumière trop uniformes en leurs oppositions violentés de couleurs franches, sans nuance, sans grisaille.

Elle songeait à Paris : « On va mettre l’Escarmouche en répétitions de jeudi en quinze, au Théâtre-Royal… La pièce est médiocre, mais je crois que j’aurai tout de même du succès… » Elle se rappela ce qu’elle avait jugé d’avantageux dans son rôle, lorsque l’auteur avait lu ses trois actes.

Et, tout à coup, Luce se retrouva place Masséna.

Elle fit le tour du jardin public, agacée à l’aspect de la fausse cascade et de la pièce d’eau où nageaient des canards ; énervée par la chaleur, elle traversa le trottoir, reprit l’avenue Masséna, et s’arrêta avec un soupir d’aise à la devanture de la librairie Galignani, parce que les stores baissés l’abritaient contre le soleil.

Luce examina distraitement les volumes exposés en montre. C’étaient, pour la plupart, des livres en langues étrangères. Elle aperçut l’Étrange Enfance, de Maxime Gorki, l’Anatole d’Arthur Schnitzler, un roman d’Hermann Sudermann, une histoire d’amour de Mathilde Sérao ; — toute une collection d’ouvrages présentés avec le mauvais goût qui distingue les libraires étrangers et qui choquait Luce, habituée à la sobriété artistique des éditions françaises.

Soudain Luce avisa un livre, parmi les autres : elle ignorait la signification des caractères allemands imprimés sur la couverture, mais le libraire l’avait entouré d’une bande explicative :

« Vient de paraître : Eine Franzosische Familie, par Hans Schwartzmann ».