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Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/66

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tait de la présence de sa petite-fille pour l’interroger doucement :

— Jacqueline… Qu’est-ce que tu as ?

La jeune fille leva la tête. Elle toisa Michel Bertin d’un regard froid, et s’exclama, d’une voix faussement étonnée :

— Moi ?… Mais je n’ai rien. Je cherche l’Illustration… pour lire dans mon lit.

— Réponds-moi franchement, mon enfant ? Qu’est-ce qui te tourmente ?

— Toi, grand-père… en ce moment. Tu t’occupes trop de moi.

Aimé Bertin réprima un sourire et feignit de fignoler son dessin.

Michel continua sans se dépiter.

— Es-tu souffrante ou éprouves-tu quelque contrariété ?

Jacqueline leva les yeux au ciel. Il poursuivit :

— Que signifient ces nouvelles manières ? Tu sembles nous fuir, ton père et moi… M’expliqueras-tu pourquoi tu te couches dès neuf heures du soir, à présent ?… Tu boudes : à quel propos ?

Jacqueline eut soudain un rictus des lèvres, annonçant les larmes proches ; et elle répliqua d’un ton hargneux :

— Ah ! Ce n’est pas à toi de m’interroger…

— Qu’est-ce que cela veut dire ?

— Prends garde…

Jacqueline tremblait d’émotion et de colère contenue. Michel était surpris, choqué. Quant au modiste, il épiait sournoisement les deux interlocuteurs, sans oser intervenir.

Le grand-père ordonna énergiquement :

— Maintenant, je veux que tu t’expliques…

— Eh bien, tant pis !… Là ! Tu vas voir si tu n’es pas la cause de mon malheur.

Jacqueline sortait du salon en coup de vent. Elle revenait presque aussitôt, tenant à la main le Figaro de l’avant-veille qu’elle plaçait sous les yeux du vieillard, en lui soulignant un écho de son index griffant le papier. Michel lut tout haut, machinalement :

— « Descendus au Continental : M. et Mme Hans Schwartzmann et M. Hermann Fischer, de Berlin ».

Il regarda interrogativement sa petite-fille, puis Aimé. Il dit à Jacqueline :

— Je ne comprends pas.

Et il ajouta, se tournant vers son fils :

— Tu comprends, toi ?

Le modiste frémit : il était porté à répondre non. Mais cela n’allait-il point envenimer la situation et n’était-ce pas oui qu’il fallait répliquer ? Il hésita, finit par bredouiller précipitamment :

— Non… non !

Le grand-père haussa les épaules. Jacqueline s’écria :

— Hans Schwartzmann voulait m’épouser ; et, s’il s’est éloigné de moi, c’est la faute de grand-père !

Michel Bertin riposta d’une voix vibrante :

— J’ignore ce que tu veux dire… Je n’ose pas croire que ma petite-fille ait jamais songé à un tel mariage ; et si mon attitude a contribué à écarter Schwartzmann de ta route, je m’en félicite hautement… Mais pense donc à la folie que tu projetais, petite malheureuse !… Notre pays entre dans une phase de malaise intense : l’Allemagne multiplie ses menaces et ses provocations ; bientôt, peut-être, elle fera le geste irréparable ; chacun prévoit une guerre où la France sera entraînée à se défendre contre l’ennemie séculaire… Et voilà le moment où tu aurais consenti à devenir étrangère, à n’être plus qu’une âme sans patrie sous le masque d’une fausse nationalité ?… Et le jour du grand conflit, ballottée