Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/71

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d’auteur d’Eine französische Familie qui payaient leurs plaisirs.

Un accès de rage envahit René ; un frisson bref et puissant le fit trembler de la nuque aux talons. Il murmura :

— Non… Je n’attendrai pas à ce soir.

Il arrivait place Vendôme. Il apercevait de loin, à l’entrée de la rue, le magasin d’Aimé Bertin.

Il eut peur d’être aperçu par quelqu’un de la maison. Jacqueline n’était peut-être pas là, mais son père s’y trouvait sûrement ; esclave de ses affaires, M. Bertin était toujours présent au poste, quels que fussent les désastres ou les catastrophes dont souffrît sa vie privée ; et seules, la mort ou la guerre l’eussent déterminé à fermer son magasin.

René, avide de solitude, s’effrayait à l’idée de revoir l’un des siens.

Il s’engouffra à l’intérieur d’un taxi-auto, n’ayant tout d’abord que la pensée de se dissimuler aux regards. Puis, lorsque le chauffeur se pencha vers lui, quêtant une adresse, René ordonna brusquement, avec décision :

— À Enghien… Au Casino… Le plus vite possible : vous aurez un bon pourboire.

Il se souvenait que Hans Schwartzmann aimait le jeu ; et il était presque sûr de trouver l’écrivain encore installé à l’une des tables du casino. Et puis, tant pis ! après tout, s’il ne rencontrait point Hans à Enghien !… Il n’aurait que la peine de retourner au Continental ; et il aurait trompé sa fièvre d’action, dans ces allées et venues moins torturantes que l’attente fastidieuse, à la même place.

Au fond de l’auto qui roulait à toute vitesse, René Bertin s’abandonna à une crise de désespoir. Ces routes qui défilaient dans l’encadrement de la portière lui remémoraient une promenade amoureuse faite avec Luce, deux mois plus tôt. La jeune actrice avait souhaité d’entendre une de ses camarades — cantatrice — dans le rôle de Carmen qu’elle interprétait ce soir-là au casino d’Enghien. Et René avait emmené Luce, en auto ; ils convenaient de dîner là-bas, avant d’aller au théâtre.

Le jeune homme se rappelait cette escapade d’amoureux. Ils étaient blottis dans une voiture pareille à celle-ci, qui filait aussi rapidement. Il avait pris la jeune fille dans ses bras ; et elle laissait René goûter ses lèvres, alanguie par cette soirée parfumée, enivrée par la brise d’été qui les éventait d’un souffle odorant.

L’auto stoppait devant le casino. René descendit et régla le chauffeur, avec des mouvements nerveux.

Il traversa rapidement les jardins, monta les degrés du perron, et pénétra dans les salles de jeu, poursuivi par un contrôleur auquel il jeta sa carte d’entrée d’un geste impatienté.

René s’avança vers les joueurs. Il y avait beaucoup de monde autour des tables. Il s’était imaginé qu’il devrait le chercher longtemps, parmi ces têtes nombreuses, penchées sur le tapis vert et rapprochées les unes des autres. Et pourtant, un mystérieux instinct guida ses regards : ce fut tout de suite lui qu’il aperçut, debout, auprès du croupier de gauche.

René éprouva une commotion violente à revoir Hans Schwartzmann, une douleur âpre à se repaître de la satisfaction bénévole qu’exprimait le visage de l’écrivain.

Il retrouvait ce faux ami si semblable au Schwartzmann de l’année précédente, avec sa haute taille bien prise dans un long pardessus ; ses cheveux en brosse, un peu clairsemés ; ses tempes qu’argen-