Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/78

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l’écrivain avait loué à l’hôtel. Et les deux jeunes gens étaient tellement troublés par l’importance de leurs fonctions présentes qu’ils échangèrent des salamalecs réciproques pour se céder le pas avant d’entrer — comme s’ils n’avaient pas été deux anciens camarades qui avaient perpétré les mêmes farces durant leurs années d’École.

Pendant les quelques instants d’attente, ils déambulèrent à travers la pièce, rectifiant leur attitude solennelle chaque fois qu’ils s’apercevaient dans le miroir de la cheminée.

Le bruit d’une porte les figea sur place. Hermann Fischer entrait et les saluait cérémonieusement, abattant brusquement son buste.

Paul et Maurice reconnurent vaguement cet ami de Schwartzmann avec lequel ils avaient soupé, une nuit. L’Allemand commençait :

— Vous êtes les témoins de M. Bertin, n’est-ce pas, Messieurs… Voilà… M. Schwartzmann mon beau-frère, m’a chargé de vous recevoir.

Les deux jeunes gens, interdits, échangèrent un regard. Puis, Maurice Simon objecta :

— Mais…

Hermann l’interrompit sans façon :

— Messieurs, il s’est passé des choses depuis hier, et je dois vous expliquer… À la suite de l’altercation qui a eu lieu entre M. Bertin et mon beau-frère, j’ai tenu une longue conversation à Hans… Il m’a raconté de quoi il s’agissait… Il est réel, Messieurs, que lorsque Hans a fait ce voyage en France, c’était dans le but d’étudier les mœurs et les coutumes… Votre ami s’est cru visé… Pourtant, quel tort lui a-t-on causé, puisqu’on n’a pas mis son nom ? Hans n’a pas appelé ses héros : Bertin, et l’histoire est inventée… Alors ?… Je ne comprends pas la querelle, puisqu’on n’a pas mis les noms…

De nouveau Paul et Maurice se regardèrent d’un air interloqué. La tournure imprévue que prenait l’affaire les effarait. Ils éprouvaient le sentiment d’un acteur qui a étudié consciencieusement son rôle et qui se trouve désarçonné, parce que le partenaire qui lui donne la réplique se livre tout à coup à des fantaisies d’improvisation. Ils se remémoraient les recommandations de René. Enfin, Paul Dupuis se décida à dire sèchement :

— Monsieur, il ne s’agit point d’établir si notre client a été ou non l’objet d’une diffamation : nous ignorons cette question. Vous savez le motif de notre visite : voulez-vous prier M. Schwartzmann de nous recevoir afin qu’il nous mette en rapports avec ses témoins…

Hermann Fischer répliqua très posément, avec cette placidité épaisse qui le bardait d’indifférence, tel un pachyderme enfermé dans son cuir :

— Mais il n’est plus là, Monsieur… Je vous répète que, dans cet entretien que j’ai eu avec lui, je l’ai persuadé que ce n’est pas se disqualifier que de céder la place à un être privé pour le moment de son bon sens… Je lui ai dit de belles choses, à Hans, Messieurs… de nobles choses que je regrette de ne pas pouvoir transcrire en français… Il n’est pas le maître de sa personne, il n’a pas la liberté de compromettre sans raison suffisante l’une des richesses de notre Allemagne… C’est comme si, moi, je vous vendais un morceau de mon pays, Messieurs… Alors, il est parti avec ma sœur ; ils vont voyager encore pendant quelque temps, le temps que votre ami réfléchisse et se calme… Vous comprenez que Hans ne s’esquive pas : on peut toujours retrouver un homme comme