Page:Marais - La Carriere amoureuse.djvu/63

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l’objet d’un malentendu. Il ne formule aucune question, pour éviter la fâcheuse gaffe, et détourne la conversation :

— Je venais vous demander si vous avez disposé de votre soirée ?

— Mais… non, répond papa, en me consultant du regard.

Hubertin continue :

— Alors, je vous emmène au Casino. Ce soir aura lieu la fête organisée par l’Association de la Presse quotidienne du Littoral. Vous verrez : ce sera réussi. Nous avons transformé le hall en kermesse. On y trouvera un peu de tout. Des chansonniers de Montmartre, en tournée. La reconstitution d’un café maure, avec des danseuses arabes. Une tombola, bien entendu. Mme de Delphes y officiera, nous fera un cours de chiromancie, et Mafiole y chantera. Un bal terminera la fête…

Papa veut retenir Hubertin à dîner, mais celui-ci proteste :

— Du tout, du tout. D’abord, il faut que je rentre chez moi pour me mettre en habit…

— Eh bien ! Allez vous habiller et revenez, sans ça, je me fâche.

Max finit par accepter. J’ai assisté à ce débat avec détachement. Maintenant que sept heures approchent, que Jean ne peut plus se présenter, les mêmes craintes défilent dans ma tête, ressassées comme une obsession : « Que s’est-il passé, mon Dieu ? Qu’a-t-il fait pendant cette longue journée ?… S’il avait été empêché de venir, il m’eût prévenue, d’une façon ou d’une autre… Désormais, il n’a plus à craindre de m’écrire. Alors ?… Un accident… Oui c’est cela… Il a dû tomber malade, cette nuit. Une crise de fièvre, d’entérite, peut-être… Ou bien, si une automobile l’avait écrasé, sur la promenade des Anglais, au moment où il se rendait ici ? »

Je regarde Hubertin qui va repartir : s’il est arrivé quelque chose, il doit les avoir, lui…

Je l’arrête dans l’entrée, tandis qu’il enfile son pardessus.

— Dites donc, monsieur Hubertin, vous a-t-on apporté la nouvelle d’un accident mortel, d’un événement tragique, cet après-midi, à votre journal ?

Max, qui ne songe plus qu’à changer de vêtements, se retourne, un peu maussade :

— Ma foi, mademoiselle !… Voyons ?… Ah oui : il s’est passé un drame cours Saleya. Un ouvrier plombier a assassiné sa maîtresse en lui défonçant le crâne avec une barre de volet puis, il s’est jeté par la fenêtre…

— Ah !… c’est tout ?

— Ça ne vous suffit pas ? Ben ! Mes compliments, vous aimez les faits divers sanglants, vous, au moins !

Et Hubertin dégringole l’escalier de son allure toujours pressée.

Lorsque nous sommes seuls, papa me dit d’un air malin :

— Es-tu restée enfant pour ton âge, Nicole ! Toi si précoce par moment : tu as gâté ta journée en la traînant dans une impatience fébrile, et pour quoi ! Pour aller passer la nuit au bal. C’était ça, ta surprise, la chose, très, très importante dont tu avais tant envie !… Si j’avais su, c’est moi qui serais parti pour Monte-Carlo !… Allons, cours te faire belle maintenant, pour bien jouir de ton plaisir.

Père est content, malgré ses taquineries, persuadé que je vais m’amuser énormément… Je ne lui souhaite pas d’éprouver jamais l’irritation nerveuse, l’espèce de courbature morale, qui me brisent à ce moment, pendant que j’agrafe n’importe quelle robe, à la six-quatre-deux… M’amuser !

Ce dîner m’assomme. Hubertin est revenu, pimpant, fringant, très en train. Il bavarde