Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/101

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ment, une résignation douloureuse à subir la fatalité sacrée.

Jack Warton parle bas, d’une voix égale qui s’éteint parfois, prononçant à peine le dernier mot d’une phrase :

— Mademoiselle, je vous dois une explication… elle sera sans exemple et cet entretien sans précédent, je crois… Excusez-moi, c’est ma faute ; vous jugerez si je suis pardonnable.

Il reprend :

— Je n’ai pas eu de jeunesse… des débuts difficiles comme tous mes pareils quand ils sont pauvres, et je n’avais aucune fortune… J’ai vécu mes années d’études, non dans l’économie, mais dans une pauvreté proche de la misère… Un mauvais lit sans couvre-pied, une table encombrée de livres et de papiers qui encombre elle-même une pièce exiguë meublée d’une malle et d’une chaise : voilà le logement de mes vingt ans. Les soucis matériels, l’ardeur au travail, la passion de la science ne me laissaient guère de loisirs pour songer à l’amour ni au plaisir. Jusqu’à trente ans, cette vie de privations et de labeur me garda aussi novice qu’un tout jeune homme. Brusquement, brutalement, ce fut le succès : le hasard d’une rencontre, dans un pays désert, du milliardaire Fenton tombé malade en voyage et que j’opérai heureusement, me fit sortir de l’obscurité. La vogue, la clientèle, l’argent, j’étais libéré… Pas pour longtemps. Dès que mon nom fut connu, je fus jeté malgré moi dans la haute société. Recherché, invité, comblé, j’apportai