Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/150

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dans un tumultueux va et vient de souvenirs.

Et, tout à coup — pourquoi cette réminiscence ? — François se revit par un clair matin d’avril dans ce camp de la belle Bretagne où il instruisait les recrues, durant la période de repos qui avait suivi sa convalescence à la suite du coup de Verdun.

Dans son zèle patriotique, il lui était venu l’idée d’imprégner ces jeunes esprits de la beauté du devoir qui les attendait. Et, par bribes, ces phrases qu’il avait prononcées alors chantaient dans sa mémoire :

« Quand vous serez au feu, à votre tour, quand vous endurerez des souffrances multiples, que vous subirez des dangers, songez à ceux que vous aimez, à vos sœurs, à vos parents qui vous suivront en pensée. Acceptez vos douleurs comme une rançon de leur bonheur. Car, c’est pour eux que vous serez peut-être blessés et que vous vous battrez… Pour que vos vieux parents soient protégés contre l’invasion et ignorent les horreurs de la guerre… »

François se souleva imperceptiblement sur son lit : il voyait sa mère poursuivie, humiliée, condamnée au nom de la guerre : « Votre fils est mobilisé ?… peu importe. La créance qu’on vous réclame n’est pas à son nom : donc, vous devez payer… mourez de faim ensuite, ce n’est plus notre affaire. »

De nouveau, les petites phrases ironiques ses propres phrases de jadis — venaient tourmenter son agonie. Il s’entendait, disant d’un ton convaincu.