Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/149

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vreux, s’agitaient, déliraient. Les autres, immobiles, livides, à moitié chemin du sombre voyage, détachés déjà du monde terrestre, gardaient la sinistre indifférence des mourants.

François, dans sa faiblesse, éprouvait une sorte de bien-être. Ses membres allégés lui semblaient devenus impondérables ; son esprit, ravivé, était sous l’empire, à la fois, d’une douce béatitude et d’une agréable surexcitation. Autour de lui, les choses tournoyaient lentement : les lits voisins, une table au milieu de la salle, paraissaient glisser vers lui ; puis, tout se retirait, les formes s’effaçaient dans un éloignement qui les diminuait…

François se souvint de son temps d’hôpital, après sa première blessure reçue à Verdun : il comprit qu’il était sous l’influence d’une forte dose de morphine qui l’empêchait de souffrir.

Mais cette buée, devant ses yeux, ce brouillard qui, peu à peu, obscurcissait sa vue, était-ce un effet de l’opium ?… Non.

Mais cet infirmier qui s’arrêtait près de son lit, pourquoi — cet homme endurci pourtant à d’autres tristesses — avait-il dans le regard cette pitié émue ?

« Je vais mourir, pensa François. Pauvre sœurette… »

Le jeune homme repassait son existence avec cette acuité, cette perception surnaturelle où l’être semble se résumer en une fois, d’un suprême effort, avant le grand anéantissement.

Des faits oubliés, des circonstances plus ou moins récentes se représentaient à son esprit