Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/94

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Le sang rejaillit, dès que le tampon s’écarte. À pleins doigts, Warton plonge en pleine chair, élargit la plaie. Ses ciseaux fendent des peaux grisâtres parmi cette profondeur rouge. Le chirurgien enfonce son outil d’un coup brusque, attire, puis ramène une chose oblongue et violacée pareille à un fruit, à une quetsche mûre. Il coupe, pince, tiraille, cisaille…

Laurence va-t-elle s’évanouir ? Non. D’un effort prodigieux, elle s’arrache à ce supplice pour songer : « Préparons le thermo-cautère », et son esprit se force à ne plus fonctionner que pour accomplir en machine docile les instructions du chirurgien. Elle se maîtrise victorieusement, de toute la force de son amour filial.

Un dernier coup de ciseaux, et la quetsche se détache comme un fruit gâté et liquide.

— Le thermo-cautère, souffle la voix brève du docteur Martin.

Laurence tend l’objet en détournant la tête ; un bruit de chair grésillante la hérisse d’épouvante : elle a la sensation d’une brûlure morale ; il lui semble que ce soit sur son propre cœur que vienne de s’apposer la tige rougie à blanc.

Warton achève son œuvre avec une rapidité vertigineuse, ligature les artères, recoud la chair déchirée, la peau ouverte ; accomplissant si simplement sa tâche grandiose de raccommodeur de poupées humaines.

Pour la première fois, le chirurgien ouvre la bouche et murmure, en s’adressant au médecin :

— Vous avez vu !

Les deux hommes hochent la tête. C’est tout. L’opération est terminée. Aidée du médecin. Laurence reporte sa mère dans la chambre,