Page:Marais - Nicole, courtisane.djvu/106

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sonne pour m’embrasser. Maman est morte en me mettant au monde ; père m’effleure le front une fois par an, le jour de sa fête ; Fraülein est une étrangère, et je n’ai pas un souvenir de vrai baiser affectueux dans ma vie, — pas même l’amitié d’une grosse patte de chien posée sur ma main… Je suis toute seule. Père, qui est juge d’instruction, garde son austérité réfrigérante de magistrat aux moments les plus simples de son intimité… Quand il ordonne : « Servez le potage ! » on croirait qu’il commande : « Faites entrer l’inculpé ! »… Eh bien ! pour moi, Julien, c’était tout ça : l’amour paternel, l’amour maternel, l’amour affectueux — et surtout, l’amour tout court… Cet ensemble de bonheurs qui m’avaient manqué, me seraient payés d’un seul coup… J’avais une telle confiance en lui. La première fois qu’il m’a pressé doucement la main, je me suis crispée, frissonnante, ayant presque mal à force de joie. Je l’aimais uniquement, exclusivement… Il me semblait qu’il n’existait que Julien et moi, sur terre. J’oubliais père, je ne souffrais plus d’être traitée en indifférente par ce magistrat rigide. Aussi, quand je vois que je me suis trompée, que Julien s’en va après m’avoir pris tout mon