Page:Marais - Nicole, courtisane.djvu/107

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cœur — pourquoi s’est-il donné la peine de se faire aimer ? — il me semble que je suis encore plus seule qu’avant. Décidément, je crois qu’elles sont vouées à n’avoir point de chance, les filles qui n’ont pas connu leur maman… Mais, qu’est-ce que vous avez, madame ?… Vous pleurez ?

Sylvie s’arrête, surprise : la curiosité prime son désespoir et sa jalousie. Oui, je pleure… C’est stupide. Je n’ai pu retenir les larmes silencieuses qui brûlent mes paupières et chatouillent mes joues d’une traînée humide. Aux paroles de cette enfant, des souvenirs personnels m’ont assaillie, envahie d’une infinie pitié de moi-même, alors que je pensais m’attendrir sur la fiancée de Julien. Notre compassion envers les autres n’est souvent que de l’égoïsme réflexe.

Nos deux aventures se ressemblent, sous bien des rapports : négligées par nos pères pour des causes opposées — l’un, trop frivole ; l’autre, trop sévère — nous avons usé notre bonheur d’un coup, à la façon des gens qui dépensent sans savoir compter : on ne nous avait pas appris à le diviser, à placer une petite épargne d’illusions en réserve sur l’avenir.