Page:Marais - Nicole, courtisane.djvu/370

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à regarder la lettre, sans rien dire. Enfin, Paul rompt le silence :

— Pauvre gosse !… Il m’attendrit. Comme il t’aimait… Sa lettre est belle. Elle me plaît doublement : elle révèle si clairement ton attachement pour moi, chérie !… Quelle était cette preuve d’amour qu’il t’avait offerte, hier ?

— Elle va te stupéfier : il m’a proposé de m’épouser !

Paul fronce les sourcils d’un air mécontent : sa pitié s’envole du coup. Moi, je songe… Malgré mon affliction, malgré la crainte de profaner une mémoire… La raisonneuse Nicole agite mille réflexions. Est-ce entièrement vrai, ce que m’écrit Julien ? Est-ce que moi, si j’étais auteur dramatique et que l’on jouât ma première pièce, je n’oublierais pas toutes les femmes de l’univers, le soir de la générale, pour me précipiter au théâtre, avec une anxiété joyeuse et frémissante ? Pense-t-on à ses affections dans ces moments-là ? L’Art et l’Ambition nous possèdent d’une irrésistible et frénétique ingratitude. Que nous importe notre maîtresse au bras d’un amant ? Que nous importe l’ami que nous piétinons ? Il faut que notre égoïsme éclate au nom d’un orgueil créateur. Et je me demande