Page:Marais - Pour le bon motif.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce soir, il eût jugé très divertissant ce goûter chez Bodéga en compagnie de la belle actrice dont il assurait l’existence fastueuse, si Nelly Rosanne n’avait eu la fâcheuse habitude de le houspiller en public. À côté de lui, son frère Abel, malingre et chétif avorton de quarante ans, d’une laideur remarquable, se ratatinait sur sa chaise dans la posture ramassée d’un singe accroupi. En face des frères Salmon, Marcel d’Arlaud, silencieux contre sa coutume, fumait un havane odorant en contemplant Nelly d’un air rêveur.

Abel Salmon dit lentement :

— D’Arlaud, vous qui êtes un psychologue, expliquez-moi donc quelle sorte de plaisir peut trouver un homme de bonne compagnie dans la société d’une amie fantasque, irascible et indifférente, qui lui tient des propos désagréables pour se désennuyer de le subir ?… Les petits enfants sont plus favorisés que les grands : leurs poupées ont, du moins l’avantage d’être muettes.

Nelly Rosane toisa le frère de son amant avec mépris et s’écria :

— Oh ! Vous, mon cher, votre opinion ne compte pas : vous êtes un eunuque !