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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

truire, pour corriger, pour plaire ; et du charme qu’elle sait y répandre, résulte un caractère inimitable d’originalité.

Voyez la préface du Temple de Gnide. À peine a-t-il relevé avec une vivacité simulée le pédantisme des critiques qui s’élevoient contre ce charmant opuscule, qu’il change tout à coup de ton, pour faire le procès aux vains auteurs. « Si les gens graves désiroient de moi quelqu’ouvrage moins frivole, je suis en état de les satisfaire, il y a trente ans que je travaille à un livre de douze pages, qui doit contenir tout ce que nous savons sur la métaphysique, la politique et la morale : et tout ce que de très grands auteurs ont oublié dans les volumes qu’ils ont publiés sur ces matières. »

Le même enjouement se retrouve quelquefois dans les sujets les plus sérieux. Après avoir fait sentir quelque part[1] combien les trois puissances commerçantes de l’Europe sont intéressées à la défense de l’empire Ottoman, il ajoute : « C’est leur félicité que Dieu ait permis qu’il y ait dans le monde des Turcs et des Espagnols, les hommes du monde les plus propres à posséder inutilement un grand Empire. » Chacune de ses productions a un caractère particulier, qui attache certaine classe de lecteurs : de la sorte réunissant tous les suffrages, il est également goûté, et de ces âmes légères que la pensée fatigue, et de ces âmes froides que les saillies ne peuvent émouvoir, mais surtout des penseurs, dont il est l’ydole. Or rien ne montre mieux l’étendue de ses talens.

On pourroit croire qu’il étoit trop gai pour réussir dans le genre sombre et terrible : peut-être ira-t-on jusqu’à vouloir le prouver. J’avoue qu’il semble l’avoir évité avec assez de soin, et que dans les sujets qui prétoient le plus

  1. Grandeur des Romains, etc., chap. XXIII.