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J.-P. MARAT

Seroit-il maintenant besoin d’observer que dans l’ordonnance sur l’avidité des courtisans, l’auteur n’avoit pas d’autre ton à prendre que celui qu’il a pris ? C’est en riant qu’il pouvoit reprendre des hommes qui ne redoutent que l’opinion.

Quant à la remontrance aux inquisiteurs d’Espagne, son dessein n’étoit pas d’étonner l’imagination, mais de toucher le cœur, si toutefois celui d’un inquisiteur pouvoit s’ouvrir à la pitié. Ainsi tous ces morceaux où l’enjouement paroit d’abord déplacé, sont autant d’exemples de la finesse, du tact de l’auteur.

C’est le sort de Montesquieu, de toujours triompher des attaques de la critique. Ici, elle n’a pas seulement assuré sa gloire, elle l’a relevée : elle vouloit borner ses talens, et elle n’a pu qu’ajouter à la sublimité du phylosophe, sans rien ôter à l’élévation de l’auteur. Rien ne prouve donc qu’il n’eût pas réussi dans le sombre et le terrible. Pour composer dans ce genre, un esprit naturellement fort gai, est sans cesse obligé de se faire violence, et dans cette contrainte perpétuelle, le naturel se perd, le génie s’éteint. Mais l’enjouement de Montesquieu, je le répète, n’étoit pas un penchant irrésistible de la nature, c’étoit le ton d’une sagesse consommée, et jamais il ne la substitua au pathétique que lorsqu’il voulut produire de grands effets.

Je n’ignore pas qu’il n’est point de génie universel : il en coûteroit cependant à mon cœur de mettre des bornes aux talens de Montesquieu, qu’on juge si je consentiroi à les dégrader contre toute justice. Oui, Messieurs, n’en doutés pas, Montesquieu étoit un grand maître dans l’art d’émouvoir les passions, d’inspirer la pitié, d’exciter la terreur. Où croyés-vous que j’en trouve la preuve ? Dans son ouvrage le plus léger, dans celui où la gayeté pétille à chaque page : C’est là qu’il a déployé son talent pour