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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

Tous les papiers publics annoncèrent sa mort. Les étrangers firent éclater leurs regrets. L’Académie des sciences et belles-lettres de Berlin, dont il étoit associé, fit faire son éloge ; honneur qu’elle n’avoit encore décerné qu’à J. Bernoulli. Et l’Académie françoise lui fit faire, selon l’usage, un service solemnel, auquel, malgré la rigueur de la saison, presque tous les membres de ce corps se firent un devoir d’assister. Détournons les yeux, Messieurs, de dessus cette triste scène, si propre à renouveler notre douleur ; et cessons de considérer la perte que la société fit en Montesquieu pour examiner l’infiüence qu’il a eue sur son siècle.

Fait pour diriger l’opinion publique, non pour s’y asservir, il attaqua les ridicules à la mode et les préjugés destructeurs. Aussi personne ne contribua-t-il davantage à rétablir dans ses droits la raison asservie à l’autorité : glorieuse révolution que Fontenelle avoit commencée, et qui auroit enfin amené le siècle de la vraie philosophie, si tant d’auteurs n’avoient abusé de la liberté de penser. Moins jaloux d’être l’apôtre de la vérité que le ministre de la sagesse, il apprit aux hommes à se servir de leur jugement, mais pour arriver plus sûrement au bonheur ; bien différent de ces écrivains licencieux, que la vanité emporte toujours au-delà des bornes de la prudence ; plus différent encore que ces écrivains insensés, dont la sacrilège audace renverse toutes les barrières, brise tous les liens, livre les hommes à la fureur aveugle des passions, les replonge dans les horreurs de l’anarchie, arrache tout remords aux méchans, toute consolation aux malheureux, s’applaudit en secret des maux qu’elle leur fait, et se repose avec orgueil dans le néant.

Montesquieu respecta toujours les opinions qui assurent le repos de la société, et n’attaqua jamais que les préjugés funestes. Mais pour en purger la terre, il ne prit point le