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J.-P. MARAT

Ainsi, après avoir été dans les Lettres Persanes émule de Théophraste et de Lucien, il le fut de Lucien et d’Anacréon dans le Temple de Gnide.

Ce nouvel ouvrage, fait pour plaire également aux deux sexes, enchanta tous les lecteurs, jusqu’aux plus austères philosophes. Ne pouvant étendre la réputation de son auteur, dont le nom voloit déjà en tous lieux sur les ailes de la Renommée, il ne fit qu’en relever l’éclat. Montesquieu forme alors le projet de se livrer entièrement à l’étude.

Le désir de moissonner de nouveaux lauriers et de mettre le comble à sa gloire auroit pu l’engager à suivre la pente de son génie ; un plus noble motif avoit déterminé sa grande âme. Quelque importantes que fussent à ses yeux les fonctions de sa charge pour le maintien de l’ordre public, il voyoit des objets plus dignes d’exercer ses talens.

Persuadé qu’il serviroit mieux la patrie en l’éclairant par ses écrits, qu’en terminant les contestations obscures de quelques particuliers, il cessa d’être magistrat, pour ne plus être qu’homme de lettres. Résolution bien digne d’un sage qui ne vit rien de proportionné à son zèle pour le bonheur de l’humanité, qu’un travail consacré à l’instruction publique.

    jour y voit éclore, et dont plusieurs font fortune, même à la Cour, ne montreroit pas le ridicule de ce préjugé ; l’exemple de Montesquieu suffiroit pour prouver qu’avec du génie, du loisir et l’étude des grands modèles, le goût peut se perfectionner partout.

    La délicatesse du goût qui devient d’un usage continuel des superfluités d’une grande fortune, de la vanité et surtout de la lassitude des plaisirs, de la multiplicité et de la confusion même des fantaisies, est bien différente de celle qui vient d’un bon discernement. La première admet tout ce qui paroît agréable, tout ce qui est neuf, tout ce qui pique un peu un esprit fatigué. La dernière ne veut que le choix de la belle nature.

    Au reste, s’il est étonnant qu’un écrivain, aussi rempli de goût que l’étoit Montesquieu, se soit formé loin de la capitale, il est plus étonnant encore qu’un penseur tel que lui se soit formé en France.